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Fille ou garçon ?

Je continue sur ma lancée de la représentation du masculin et du féminin dans les albums jeunesse. Après un article sur le masculin utilisé comme neutre et le féminin comme sous-catégorie, et un autre présentant quelques albums où le personnage principal n’est pas genré, je voulais vous parler d’un album qui s’intéresse à la différence (ou à l’absence de différence) entre filles et garçons et nous offre des représentations intéressantes.

Il s’agit de Fille ou garçon ? de Sabine de Greef et Fleur Camerman (Alice Jeunesse, 2014).

Cover FilleouGarçon pour impression

Le narrateur (ou la narratrice) s’interroge. Il reconnait facilement les petits, les grands et les vieux. Mais les filles et les garçons… « ce n’est pas toujours facile de les reconnaître ».

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La maman du personnage, qui affirme qu’on reconnaît une fille d’un garçon « à sa tête, bien sûr ! » n’est pas d’une grande aide. C’est à l’occasion d’un bain avec le nouveau bébé, tout(e) nu(e) qu’il découvre la différence. Il est alors persuadé qu’il n’y pas plus moyen de se tromper. Mais est-ce vraiment le cas quand les personnages sont habillés ?

Un album tout simple, accessible dès 3-4 ans, et qui aborde différents aspects de la question :

– la différence sexuelle : le personnage comprend la différence avec le nouveau bébé. A noter : la référence au sexe est implicite, il n’est pas nommé ni dessiné et n’est pas l’occasion d’une discussion avec les parents.

– la différence d’apparence. Alors que la mère présente cette différence comme évidente, ce n’est pas le cas comme le montre l’image ci-dessus, et une autre image montrant des visages en gros plan. Qu’est-ce qui fait la différence ? Une robe/une pantalon ? De longs cils ou un noeud dans les cheveux ? L’attitude des personnages ? Du rose ou du bleu ? Mais qu’est-ce qui empêche le personnage en bleu avec des lunettes rouges d’être une fille ?

– les activités genrées. A ce niveau là, les pages de gardes sont intéressantes :

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Moi qui privilégie généralement ce que j’appelle la « lecture offerte » (je ne commente pas, je n’explique pas les livres que je lis, je ne demande pas leur avis aux enfants, sauf question explicite de l’enfant), je trouve que cet album est, comme le souligne la mare aux mots, « très bien fait pour amorcer la conversation au sujet des représentations sexuées ». Il interroge les représentations des parents comme des enfants. Il interroge les représentations dans les livres comme dans la réalité. Bref, un album plus riche qu’il n’y parait !

 

L’album est présenté sur le site de l’éditeur ici. Et pour en savoir plus, allez jeter un coup d’oeil sur Ricochet, Altersexualité et la mare aux mots.

Filles ou garçons ? Albums avec héros non genrés

Dans mon article précédent, je montrais que le masculin est utilisé pour représenter le masculin et un neutre qui ne l’est pas, et que le féminin est décliné à partir du masculin. Et que la quasi totalité des personnages d’albums rentrent dans cette bicatégorisation masculin/féminin. Les albums où les personnages ne sont pas genrés (ni dans les illustrations ni dans le texte) sont rares. Ce sont des bébés ou des tout-petits (en tout cas, je n’ai pas trouvé d’album avec un personnage non genré plus âgé, mais si vous avez des pistes…). Et si le tout-petit n’est pas genré, les adultes qui l’entourent le sont, avec les figures maternelles et paternelles. Mais même quand on représente des bébés, cette incertitude sur leur genre est une exception.

Parmi eux, on peut citer : Bon voyage bébé de Béatrice Alemagna (Hélium, 2013) dont je parlais déjà ici parce qu’on y voit, pour une fois, un père changer une couche : bon voyage bébé Ne bouge pas ! de Komako Sakaï et Nakawaki Hatsue (l’école des loisirs, 2006) que je présente ici. ne bouge pas Sakai La série Lou et Mouf de Jeanne Ashbé dont voilà la liste des titres.

lou et mouf 1  lou et mouf 2  lou et mouf 3

Babils et chuchotis cite aussi la série Barri de Marc Clamens, où le personnage est un petit éléphant. Edit du 4 mai 2015 : mais Gabriel de la mare aux mots souligne qu’il est désigné comme un garçon dans plusieurs titres de la série (« Aide-le »).

En ce qui concerne les dessins animés, Laure Ollive m’a fait découvrir Gros-pois et Petit-point qui, s’ils sont désignés par des pronoms masculins dans le résumé, ne sont pas genré dans le dessin animé lui-même, en tout cas en ce qui concerne les extraits que j’ai vu.

Pour ce qui est des illustrations, on évite alors les couleurs trop connotées et les accessoires trop féminins. Pour ce qui est du texte, les albums utilisent essentiellement des verbes d’actions et peu d’adjectifs ou de participes passés. Bon voyage bébé est écrit à la première personne, dans Ne bouge pas !, l’enfant s’adresse aux animaux à l’impératif. Et Lou et Mouf utilise un prénom/surnom mixte.

Il y a aussi les albums qui utilisent des formes abstraites ou géométriques comme personnages, comme Petit bleu et petit jaune de Léo Lionni ou le « Petit carré » de Quatre petits coins de rien du tout de Jérôme Ruillier, cependant on remarque que l’adjectif « petit » est accordé, ce qui reste une manière de genrer ces personnages. C’est le cas aussi pour la p’tite bête d’Antonin Louchard ou pour le petit monstre de Mario Ramos.

(Je ne parle ici que des albums avec un personnage principal identifié, mais on trouve aussi des albums avec des personnages multiples que je ne listerai pas ici parce que cet article est déjà long!)

Et même quand il n’y a pas de marquage sexué, on a tendance à quand même attribuer un sexe (généralement masculin) au personnage :

« Ce qui ne veut pas dire qu’en l’absence de marquage sexué, les enfants ne sexuent pas le personnage. D’abord parce que dans notre société, les enfants (comme les adultes d’ailleurs) sont poussés à la bicatégorisation de sexe, le masculin ou le féminin, le neutre n’étant pas reconnu comme une catégorie. » (Comment la presse pour les plus jeunes contribue-t-elle à élaborer la différence des sexes ?)

Voilà par exemple ce que dit Maman travaille de Winnie l’ourson. Et Jeanne Ashbé, lorsqu’elle parle de Lou et Mouf, parle de « petit bonhomme » et utilise un pronom masculin pour le désigner. Et vous, en voyant les couvertures au dessus, n’avez-vous pas, malgré vous, attribué un genre aux bébés dessinés ? Véronique Rouyer souligne, dans la construction de l’identité sexuée (Armand Colin, 2007) :

DeLoache et DeMendoza (1987) montrent que des biais apparaissent chez les mères dans la lecture de livres illustrés, notamment par l’emploi des prénoms masculins pour parler des personnages neutres. Ainsi, l’utilisation de personnages neutres ne garantit pas la réduction du sexisme, d’autant plus que l’adulte attribue alors un genre (le plus souvent masculin) aux personnages neutres. Les enfants ont aussi tendance à assigner aux personnages animaux un genre.

J’avais demandé des conseils et des idées sur twitter, n’hésitez pas à aller voir ici !

Masculin neutre et conséquence sur les représentations

Dans la littérature jeunesse, les personnages non genrés sont très rares. On reconnait quasiment toujours immédiatement un homme d’une femme, un petit garçon d’une petite fille.

Sylvie Cromer, Carole Brugeilles et Isabelle Cromer : Comment la presse pour les plus jeunes contribue-t-elle à élaborer la différence des sexes ? (2008) :

« La bicatégorisation de sexe est en fait une sous-catégorisation du féminin à partir d’un « masculin-neutre » : ainsi pour marquer un personnage comme féminin sont ajoutés des attributs spécifiques, comme des nœuds, robes, bijoux, état de grossesse, des seins, à partir en fait d’un neutre déclaré comme masculin. Aussi le masculin apparaît-il comme représentant de l’universel, englobant le masculin et le neutre, et le féminin comme une sous-catégorie. »

Sylvie Cromer le réaffirme dans cet entretien« Pour faire une fille, on prend un garçon et on lui ajoute quelque chose » (des cheveux longs et une robe rose pour la petite fille, un tablier pour la maman…).

Une image trouvée dans le magazine Tralalire de mars 2015 me semble particulièrement parlante de ce point de vue là :

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Lou le loup est un des héros récurrents du magazine. On crée à partir du personnage masculin une version féminine en lui ajoutant un collier et une fleur rose !

Sylvie Cromer conclut dans Le masculin n’est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le théâtre pour enfants (Cahiers du genre n°49, 2010) :

Ces marques qui ‘altérisent’ et ‘désuniversalisent’ empêchent l’accès du féminin au statut du neutre et le constituent, non pas en un autre sexe à part entière, mais le déclinent comme sous-catégorie du masculin. Par là, en creux, est induite l’idée d’un masculin premier, équivalent à un neutre. Cette particularisation du féminin n’est pas spécifique aux productions de la jeunesse mais innerve notre mode de pensée : qu’on songe aux nœuds dont on affuble sans nécessité — si ce n’est celle de marquer le sexe — les bébés filles ou l’énoncé fallacieux des règles grammaticales, tel que « on ajoute un ‘e’ pour former le féminin ».

Vous avez d’autres exemples ?

Je vous parle très vite des (rares) cas où les personnages de littérature jeunesse ne sont pas genrés, ce qui ne règle pas forcément le problème…