Mois: mai 2017

Rôle du père, rôle de la mère

Cet article et ceux à venir sont une adaptation de matinées de présentation et d’analyse d’albums à destination des professionnelles de crèche que nous organisons régulièrement avec des collègues. Elles sont thématiques, et nous en avons consacré une aux diversités, et une autre aux représentations des filles et des garçons, des hommes et des femmes dans les albums pour les tout-petits.

La première matinée est partie d’une demande d’une auxiliaire qui nous a demandé si on pouvait lui proposer des livres sur différentes sortes de familles (homoparentales, monoparentales…). Nous sommes partis de cette question et avons élargi le sujet pour parler des diversités familiales, mais aussi humaines (handicap, différence de couleur de peau) et culturelles. Avec l’idée que les enfants accueillis dans les crèches viennent de familles variées, tant au niveau du modèle familial que des origines, des langues, des cultures différentes. Mais comment accueillir ces familles tout en acceptant leurs différences et leurs diversités? Cela va au-delà du simple constat, de la simple reconnaissance ou de la tolérance. Il s’agit de reconnaître et de valoriser les compétences de chacun et d’apprendre de l’autre…. Nous voulons donc proposer à tous les enfants des livres dans lesquels ils peuvent se retrouver. Mais aussi des livres qui nous permettent d’apprendre les uns des autres et d’être dans une réciprocité, d’établir un équilibre dans les échanges…

En raison du temps limité, d’un public défini (enfants de moins de 4 ans), de la disponibilité des albums et d’une exigence sur la qualité des livres nous n’avons proposé qu’une sélection restreinte d’albums, et certains aspects n’ont pas été abordés alors que nous le souhaitions. N’hésitez pas à compléter en commentaire !

 

Pour parler des diversités familiales, nous abordons d’abord la répartition des rôles et des représentations entre le père et la mère, et nous commençons avec des papas et des mamans de Jeanne Ashbé (Pastel, 2003).

papas mamans ashbé

Sur chaque page, un portrait d’un papa ou d’une maman dans des activités de la vie quotidienne. Tous les papas et toutes les mamans sont différents les uns des autres. Jeanne Ashbé puise son inspiration dans la vie quotidienne de n’importe quelle famille, c’est sans doute pour cette raison que les enfants peuvent s’y reconnaître, choisir de s’identifier ou non.

Elle a pris soin d’apporter une vraie diversité dans les adultes qu’elle présente, puisque l’on croise des familles de différentes couleurs de peau. Nous retrouvons aussi dans cet album une variété des rôles parentaux. Par exemple, le papa donne à manger à son bébé….et la mère ne possède plus à elle seule la fonction nourricière. Les enfants pourront s’identifier en reconnaissant leur propre modèle familial ou au contraire découvrir d’autres modèles.

Une auxiliaire assistant à la présentation a également souligné qu’il y a une page où les parents sont fâchés :

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L’image est explicite (on voit bien leurs visages en colère, l’enfant est entre les deux) et assez forte. Ces images sont plutôt rares dans les albums pour les petits et c’est bien qu’on n’en fasse pas un tabou, car ce sont des choses de la vie que les enfants rencontrent. Ils y sont confrontés et c’est bien de montrer que ça existe.

Ce qui est intéressant dans cet album c’est que ce n’est pas appuyé, qu’on est dans une succession de tableaux, et chacun va prendre ce dont il a besoin.

 

Viennent ensuite les deux albums d’Anthony Browne, mon papa et ma maman (école des loisirs, 2002 et 2006), gros succès en crèche ! Ma maman est une commande de l’éditeur après le succès de mon papa. Mais même s’il a été publié plusieurs années après, pour les enfants ces deux livres sont souvent indissociables.

Dans ces albums, un enfant nous parle de ses parents avec un regard plein d’admiration. Au fil des comparaisons de l’enfant, le parent se métamorphose, mais garde toujours le motif de sa robe de chambre, le motif sert de fil conducteur. Et comme un refrain, « il est vraiment, VRAIMENT bien mon papa », « elle est vraiment, VRAIMENT bien ma maman ». Vous trouverez des images du premier ici.

Les enfants s’amusent à repérer des détails de l’illustration (qui avaient parfois échappé aux adultes) et les adultes s’amusent du regard admiratif de l’enfant et sont amusés par ces « super parents » qui se promène dans la vie en pyjama, robe de chambre et pantoufles.  Et ce livre est une belle mise en valeur de l’amour réciproque entre enfants et parents.

Qu’en est-il des représentations du père et de la mère dans ces albums ?

Anthony Browne a consacré un album  pour les un peu plus grands à la répartition des tâches ménagères : à calicochon (Kaléidoscope, 2010). Il s’est intéressé également aux stéréotypes attachés aux hommes dans sa série Marcel (j’en reparlerai).  Il y a donc une réflexion de cet auteur sur les représentations hommes/femmes. Et pourtant, je ne les trouve pas complètement réussi de ce point de vue là.

Pointons déjà le positif : les comparaisons et les métamorphoses parfois surprenantes nous éloignent des représentations les plus stéréotypées. Dans mon papa, on retrouve, certes, de nombreuses images du père fort et protecteur (« mon papa n’a peur de rien, pas même du grand méchant loup », « il pourrait lutter contre des géants » « il est fort comme un gorille »). Mais on s’en éloigne par d’autres aspects plus originaux : il est « heureux comme un hippopotame », et quand on aborde sa douceur, on l’associe à une qualité généralement considérée comme féminine.

Dans ma maman, là encore, on trouve des comparaisons opposées aux stéréotypes habituels associés aux mères : la maman « rugit comme un lion » et est « costaude comme un rhinocéros » (on a tellement peu l’habitude de voir cet adjectif au féminin qu’on m’a déjà demandé si c’était bien français). Elle est également représentée en super héroïne.

maman lion

Et si on s’arrête aux images, elles propose des visions suffisamment variées pour qu’elles aient été choisies pour illustrer cet article contre les stéréotypes dans la littérature jeunesse.

On trouve également des scènes où elle cuisine, d’autres où elles se maquille… mais souvent avec un certain décalage entre le texte et l’image : quand elle se maquille, elle « peint admirablement ». Cette activité purement féminine n’est donc plus présentée comme quelque chose de superficiel mais comme une activité valorisée et valorisante. De même, lorsqu’elle rentre avec des sacs de courses, « c’est la femme la plus FORTE du monde » :

ma maman browne

Certains déplore qu’on retrouve tout de même l’image de la femme chargée des tâches ménagères (courses et cuisine), aspect complètement absent dans mon papa. Personnellement, j’aime assez la manière dont c’est détourné.

On aborde, à la fin de l’album, l’hypothétique carrière de la mère. Elle « pourrait être danseuse, ou astronaute, vedette de cinéma, ou grand patron ».

Une variété intéressante, non ? Cependant, on reste dans l’hypothèse, comme le montre le conditionnel, et cette mère est rappelé à son seul rôle maternel, puisque cette énumération se clôt avec « mais c’est MA maman ». Elle est donc enfermée dans ce rôle domestique par ce « mais » qui montre une opposition claire entre la maternité et un métier extérieur. C’est personnellement ce qui me gêne, et ce pour quoi, à mon avis, on ne peut pas parler ici de livre qui remette en cause les stéréotypes.

Une auxiliaire participant à la formation a raconté qu’à la page disant que « ma maman pourrait être grand patron » et où on la voit en costume, assise à un bureau, un enfant avait dit “non, c’est papa”, montrant à quel point les enfants intègrent jeunes les représentations.

 

Et pour finir cette première sous-partie,  nous avons parlé de l’heure bleue de Ghislaine Herbéra (MeMo, 2014)

heure bleue

Dans une ambiance douce et chaleureuse grâce aux illustration aux couleurs pastels, une famille passe un moment tranquille en soirée. Chacun fait une action différente. Le père raconte une histoire, deux enfants jouent, un autre prend son bain, etc. Mais lorsque le bébé se met à pleurer, tout le monde tourne son attention vers lui. Chacun lui demande ce qui ne va pas.

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Dans les illustrations, on distingue les adultes par leur taille, mais il est impossible de distinguer le genre des personnages visuellement, seul le texte le permet. On peut souligner ici que c’est le père qui raconte une histoire tandis que maman bricole sur le marchepied. Finalement, c’est la petite sœur et non pas la maman qui réconforte le bébé. Les rôles parentaux se redéfinissent, alors, et chacun participe, y compris les enfants, à la vie de la famille. Et on aborde tout en douceur les difficultés du soir pour les bébés… (vous pouvez lire une autre critique sur Ricochet).

Je m’arrête là pour aujourd’hui et on aborde très vite des familles qui sortent du schéma papa/maman/enfants. !

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