On n’a pas fini !

Les liens du moment (7 juillet 2015)

Mise en cause de l’édition genrée et des livres stéréotypés

Peu après mon article sur la presse pour petites filles, Sophie Gourion a aussi dénoncé cette presse stéréotypée en mettant l’accent sur un autre aspect : les cadeaux offerts avec certains magazines. Et pour éviter cela, elle propose une liste de magazines « garantis 0% de paillette ».

Vous avez peut être entendu parler des cahiers de vacances genrés de chez Magnard, qui propose non seulement des cahiers « spécial fille » et « spécial garçon » mais qui en plus propose des cartes simplistes pour les filles, beaucoup plus riches pour les garçons. C’est le blog « Activités à la maison » qui l’a découvert et dénoncé au mois de mai (ce qui lui a malheureusement valu des centaines de réactions haineuses). L’info a circulé, a été reprise par Actualitté, par Sophie Gourion, etc. Une pétition a été mise en place et Magnard a annoncé que ces cahiers seraient refaits (sans préciser si les nouveaux seront non genrés…).

Je me disperse se demande si le père Castor est un vieux con réac, et a tendance a répondre oui quand on voit la répartition des tâches entre les pères et les mères !

De chouettes livres antisexistes

Un article de Poulet rotique qui présente des ressources féministes pour les jeunes filles (intéressantes aussi pour les jeunes hommes et les adultes).

Dans la lancée de son article contre les cahiers de vacances, Activités à la maison a présenté trois albums des éditions Talents Hauts, Dînette dans le tractopelle de Christos et Mélanie Grandgirard et la déclaration des droits des garçons et la déclaration des droits des filles d’Elisabeth Brami et Estelle Billon-Spagnol.

Madmoizelle présente 5 albums antisexistes pour les garçons (à lire aux filles aussi).

Une chronique de la mare aux mots sur l’homosexualité et l’homoparentalité.

Les attaques des anti-genres contre les livres jeunesse

Cette fois, c’est le maire de Venise qui se distingue par sa bêtise. Il fait retirer des écoles 49 livressélectionnés par l’équipe précédente pour lutter contre les stéréotypes. Parmi ces livres, plusieurs albums sur l’homoparentalité, particulièrement visée (Jean a deux mamans,  Avec Tango nous voilà trois) mais aussi Petit bleu et Petit JauneErnest est malade ou la petite casserole d’Anatole. Plusieurs bibliothèques et associations ont donc lancé un marathon de lecture contre la censure. On en parle ici et et Lu cie & co donne la liste des livres concernés ici.

Les actions des bibliothèques

Une interview de Sylvie Tomolillo, directrice du Point G, le centre de ressources sur le genre de la bibliothèque municipale de Lyon. Au passage, Point G propose des ressources en ligne que j’ai présentées ici.

Lors du dernier congrès de l’ABF, le groupe Légothèque a organisé une « bibliothèque vivante » (où l’on « emprunte » des personnes ressources sur un sujet) sur les questions de genre et une rencontre autour du pluralisme des collections.

Des ressources pour une éducation non genrée 

Un super dossier de Phypa sur les vendredis intellos : « une éducation antisexiste, pourquoi ? Comment ? » avec de nombreuses ressources. A lire, vraiment.

Un article d’égalimère sur l’importance de lutter contre les stéréotypes filles/garçons dès la petite enfance et les moyens de le faire.

Un article de 2014 sur les hommes qui travaillent en crèche, « entre invisibilité sociale et surexposition professionnelle ».

D’autres ressources féministes

Elles ne concernent pas forcément directement l’éducation ou la littérature jeunesse, mais j’ai trouvé ces ressources intéressantes…

Hen, pronom suédois qui désigne indifféremment un homme ou une femme.

Avorter en 1976, un article de Mme Déjantée sur les vendredis intellos.

Deux blogs découverts récemments :

Poulet rotique, déjà cité plus haut, qui parle de sexe, de féminisme. « Résolument engagé – féministe ascendant sex-positive – il entend faire savoir à ses lectrices/eurs qu’ils/elles ont tout à gagner à envoyer le patriarcat dans les roses. »

Comment peut-on être féministe ?, par la même auteure qu’a contrario, qui s’adresse aux femmes et qui cherche, entre autres, à évoquer « la difficulté à se déconditionner du réflexe d’auto-sabotage (réflexe que l’on nous a inculqué dès la petite enfance) qui nous pousse souvent, nous les femmes, à ne pas reconnaître nos propres compétences, à nous dénigrer, à douter de nous-mêmes, et du formatage social », « la difficulté à surmonter (…) le fait que les hommes soient plus écoutés », « l’importance de la libération de la parole », « la question de la solidarité entre femmes »… Je suis loin d’être d’accord avec tout, mais à mon avis c’est à lire pour s’interroger sur notre façon d’être féministe et nos difficultés.

Bonne lecture ! Vous pouvez retrouver ces liens intéressants plus régulièrement sur la page facebook du blog et sur twitter !

La presse pour petites filles

Régulièrement, je reçois la plaquette d’abonnements de Fleurus. Encore une bonne occasion de m’énerver face aux abonnements « pour filles ». Je n’aborderai ici que les titres s’adressant aux enfants et aux préados, pas la presse pour adolescentes.

Les revues pour filles étaient nombreuses dès le début du XXe siècle comme la semaine de Suzette, et jusqu’aux années 1960. Vous pouvez lire un article très intéressant sur l’histoire de ces magazines ici. Elle disparait ensuite dans les années 1970. C’est Milan Presse (qui s’annonce pourtant engagé pour l’égalité filles/garçons) qui a relancé en 1998 la presse pour fillette avec Julie, bientôt suivi par d’autres éditeurs, en particulier Fleurus. On retrouve dans ces magazines récents beaucoup d’éléments qui étaient déjà présents chez leurs « ancêtres ».

Petit état des lieux actuel :

Chez Milan, on trouve Julie, « le mag qui parle aux filles », pour les 9-13 ans et Manon, pour les 6-9 ans. Chez Fleurus, les p’tites sorcières de 8 à 12 ans, les p’tites princesses de 5 à 8 ans et les p’tites filles à la vanille de 3 à 5 ans. Et chez Disney, Disney Girl pour les 7-11 ans. On trouve également quelques magazines consacrés à une héroïne particulière : Violetta, Charlotte aux fraises… Parmi les grands groupes de presse jeunesse, seul Bayard échappe à cette tendance en ne proposant que des abonnements mixtes. On peut noter qu’il n’existe pas d’équivalent « pour garçon », les autres magazines s’appuyant sur des centres d’intérêts.

Et à quoi ils ressemblent, ces magazines ? Malgré quelques variantes (chez Fleurus, il y a dans chaque magazine une grande histoire ou un court roman, qu’on ne retrouve pas ailleurs, Julie a le mérite d’aborder une question d’actualité (mais « vue à travers le prisme des filles ») et de présenter dans chaque numéro un portrait de femme célèbre), on retrouve dans ces différents magazines les mêmes éléments.

  • Le rose omniprésent. Souvent complété par du mauve ou du violet. Dans l’exemplaire des p’tites filles à la vanille, il y a du rose ou du violet sur toutes les pages sauf une. C’est visible dès les couvertures. Et aussi sur le site internet du magazine Disney girl !

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  • Des BD qui mettent en scène des filles, que ce soient des héroïnes connues (Lou ou les sisters par exemple) ou des héroïnes propres aux magazines. On retrouve régulièrement des hors séries « BD de filles » (c’est toujours bien précisé !)

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  • Des bricolages et des recettes de cuisine qui s’ancrent très fortement dans l’univers « girly ». Parmi les activités « bricolage », beaucoup de couture ou de customisation (« la deuxième vie de tes tenues d’été »). Et même les recettes de cuisine sont stéréotypées : des cupcakes, des macarons, des glaçages, du rose…

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  • Des tests, le plus souvent centrées autour de l’amour (« As-tu un coeur d’artichaut ? » « Quel garçon te fait craquer? ») ou des relations entre amies (« Une amie, c’est quoi pour toi? » « Es-tu fidèle en amitié? » « Copines d’un jour ou pour toujours? »).
  • Des pages « fan de ».

 

Et parmi les sujets, des « incontournables » qui reviennent très régulièrement :

  • l’amour, en tête de liste

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  • les relations entre amies, avec l’organisation de boom et de pyjamas parties.

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  • la mode : il faut trouver son « look », son « style ». On trouve également des articles sur comment se coiffer, les accessoires, etc. Un très fort accent est mis sur l’apparence (j’avoue que je trouve le titre « belle mais pas rebelle » particulièrement gratiné !).

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  • être une star. Oui, dans ces magazines, c’est une activité à part entière. Avec des tests (« quelle star sommeille en toi ? »), ses conseils…

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  • l’équitation. Julie, en plus de nombreux numéros consacrés aux chevaux, propose même un hors série spécial équitation 4 fois par an, Julie Cheval. On élargit parfois à d’autres animaux, à condition qu’ils soient « mignons » : chiots et chatons par exemple.

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  • les journaux intimes, où on parle… d’amitié, de mode et de garçons !

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On rejoint ce qui est expliqué, dans Contre les jouets sexistes à propos des jouets (je reprends ce que j’avais noté dans cet article) :

« Les jouets inculquent aux fillettes l’attente du grand évènement de leur vie : l’amour avec un grand A (…). Elles apprennent que c’est lui qui va leur permettre de se réaliser en tant que femme. Et que seul le regard masculin peut valider l’existence de la femme et la rendre heureuse ».

En attendant le grand amour, les filles sont encouragées à l’amitié entre filles, si possible dans un univers girly où on parle amour, beauté, séduction, petits secrets. On encourage également le goût des filles pour les animaux « de préférence mignons, inoffensifs et jeunes ».

« L’empire des sentiments, dévolu aux filles, est en fait l’institution du sentimentalisme comme forme de relation aux autres et au monde. La pensée, la réflexion, l’esprit critique, la science, la connaissance du monde qui les entoure… semblent totalement absents de l’univers des filles ».

J’ajouterai que dans ces magazines, l’importance accordée à l’apparence, aux vêtements et à la mode, et ce dès l’école primaire, est à mes yeux plutôt effrayante.

Autrement dit, ces magazines contribuent à enfermer les filles dans des stéréotypes, et ce dès l’âge de 3 ans. La concentration sur un trop petit nombre de sujets (les sentiments, l’apparence, le mignon…) leur limite l’accès vers d’autres intérêts et d’autres formes d’épanouissement.

Technique de séduction pour adolescentes (Vive les stéréotypes, 11)

Samedi, je suis allée faire un tour à la Fnac, chose que j’évite en général. En passant devant les présentoirs pour ados, j’ai été contente d’y trouver « les mots indispensables pour parler du sexisme » de Jessie Magana et Alexandre Messager. Et puis j’ai jeté un coup d’oeil aux titres des livres d’à côté…

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Et j’aurais pas du. Voilà quelques extraits de Comment plaire aux garçons, et surtout à l’un d’entre eux de Stephane Clerget illustré par Soledad Bravi (Limonade, 2014).

Je l’ai feuilleté très rapidement. Mais cela m’a suffi pour y relever quelques perles. On commence par un conseil donné par une fille pour plaire aux garçons :

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Un très bel exemple des injonctions contradictoires que subissent les filles et les femmes : être mince mais pas trop, intelligente mais pas trop, rigolote mais pas trop, coincée mais pas trop… Et surtout, ne pas être une « fille facile », c’est le mal.

Certes, on pourra dire que ce sont les propos d’une adolescente et pas ceux de l’auteur. Mais il n’y a pas de prise de distance avec ce témoignage. Et les propos de l’auteur ne valent parfois pas mieux. J’ai un faible pour la psychologie de la coupe de cheveux :

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Dans le genre « l’important n’est pas de découvrir ce qui te correspond le mieux mais de plaire aux garçons » « je fais de la psychologie à 2 balles » et « vive les injonctions contradictoires », ce passage est pas mal, non ?

L’auteur, Stephane Clerget, psychiatre spécialiste de l’adolescence, s’est exprimé à propos des stéréotypes filles/garçons dans le figaro. Ca vaut son pesant de cacahouètes.

Pourquoi les garçons sont meilleurs en math ? « Il y a sans doute plusieurs explications. L’imprégnation d’hormones mâles sur le fœtus influe sur le cerveau, ce qui explique les différences – certes beaucoup moins nombreuses qu’on ne l’a longtemps cru – entre le cerveau des garçons et celui des filles. Cette imprégnation hormonale favorise l’agressivité des garçons, ce qui encouragerait leur esprit cartésien. » (il n’a probablement pas entendu parler de cette expérience). « Et pourquoi les garçons jouent-ils à la guerre et pas les filles? Lorsqu’ils réalisent, vers 4 ans, qu’ils ne pourront jamais avoir un bébé dans leur ventre, qu’il ne pourront pas donner la vie, c’est un drame. Ils décident alors de donner la mort, qui est un pouvoir équivalent à celui de donner la vie. Voilà des explications psychologiques qui ne sont pas liées à l’éducation mais bien à la réalité biologique. »

 

EDIT : @SaptePupici en a fait un compte-rendu de lecture sur twitter, qu’on peut trouver ici.

Histoires de filles, histoires de garçons, comment font les parents ? (vive les stéréotypes, 10)

Entendu récemment par mon amoureux lors d’une conversation avec une mère de trois filles :

« Mais ça doit être compliqué d’avoir une fille et un garçon. Par exemple, le soir, quand tu choisis l’histoire que tu racontes, tu fais comment ? Tu vas pas lire une histoire de fille à un garçon ! »

Quand le marketing genré s’invite dans les collections de notre enfance… (vive les stéréotypes, 8)

La présentation de la bibliothèque rose et de la bibliothèque verte sur le site des éditions Hachette, ou comment transformer une segmentation par âge (la bibliothèque rose était destinée aux 6-12 ans, la bibliothèque verte aux ados) en segmentation par genre.

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Les bibliothèques roses et vertes s’adressent désormais aux mêmes tranches d’âges. La bibliothèque rose met donc en avant l’humour et l’émotion avec trois filles en illustration, plein de roses et du violet. La bibliothèque verte qui met en avant « l’action et l’aventure » avec (quelle surprise !) trois personnages de sexe masculin, avec armure et/ou en action alors que les filles posent.

 

Et quand on entre dans les détails, ça ne s’améliore pas :

Image 1 Image 2Les séries de notre enfance sont réunies dans une série particulière de la bibliothèque rose, avec des textes simplifiés (voir ici pour le club des cinq). Je crois que pour le reste, ça se passe de commentaires…

 

 

 

 

Ha ha ha ! (vive les stéréotypes, 3)

Les blagues sexistes c’est courant. Aujourd’hui, on en retrouve imprimées dans un livre : Les meilleures blagues de Toto à travers l’Europe de Romain Seignovert (J’ai lu, 2013). Ce n’est à proprement parler pas un livre pour enfants, mais que je mets quand même ici parce que les blagues de Toto sont quand même plutôt destinées aux enfants, et qu’on nous l’a proposé sur nos listes d’acquisition « jeunesse ».

Et je vous jure que j’ai ouvert le livre au hasard et que je suis tombée sur cette page :

(Jantje est l’équivalent de « Toto »)

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Pour ceux qui trouvent que « oh, c’est juste de l’humour », un peu de lecture ici et .

Maman apporte la soupe ! (vive les stéréotypes, 2)

On continue avec les images stéréotypées dans les albums jeunesse. Après la lessive, la cuisine !

Aujourd’hui, une image extraite de A travers la vitre de Saori Kamino (Lirabelle, 2012) :

A travers la vitre

Miam, Maman a bien cuisiné ! Là on a la totale : tablier blanc, casserole dans les mains, boucles d’oreilles et collier de perles…

Mais demain, on verra que les mamans font parfois autre chose que la cuisine !

La lessive, c’est l’éclate ! (vive les stéréotypes, 1)

Au fil de mes lectures, des représentations qui m’exaspèrent. Parce qu’elles sont particulièrement sexistes, parce qu’elles donnent l’impression que les représentations n’évolueront jamais (le livre d’aujourd’hui a été publié en 2013).

Ici, dans La maison souterraine aux 100 étages de Toshio Iwai chez Picquier, 2013

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La maman des deux bestioles en question n’est pas la dame en tablier rose qui fait la cuisine pendant que les 2 autres personnages sont assis à table dans la pièce d’au-dessus. Mais elle a aussi son tablier et sera effectivement ravie de laver la tenue de la petite fille, parce c’est bien connu, il y a plein de mamans qui adorent faire la lessive !

C’est cette image trouvée il y a quelques mois (et le fait que l’album fasse partie des listes de livres recommandés pour nos achats pour la bibliothèque) qui m’a donné envie d’écrire sur le sujet.

Refuser la censure

Etant donné le sujet de ce blog, je ne pouvais pas ne pas aborder ce qui se passe en ce moment autour de la littérature jeunesse. Je dois avouer que j’ai certaines références sur la littérature antisexiste depuis longtemps dans mon ordi, que ça faisait longtemps que j’avais envie d’aborder ce sujet (je l’ai fait parfois, au passage, à propos d’un album). Et que toute cette agitation autour de la littérature jeunesse m’a décidé à ouvrir ce blog. Pas tant parce que je pense qu’il est nécessaire que je « réponde » à ces attaques (d’autres l’ont très bien fait), mais parce que cette effervescence sur les blogs de littérature jeunesse et chez les professionnels du livre a montré qu’il y avait plein de gens qui voulait proposer des livres beaux, avec du sens et capable de bousculer et de faire réfléchir enfants comme parents. Et c’est ces initiatives là, ces livres là que j’ai envie de réunir sur ce blog.

Revenons aux attaques contre la littérature jeunesse de ces derniers jours. Pour commencer, un lien vers un article qui résume plutôt bien la situation, je trouve. A un détail près, mais qui est significatif : le blog d’extrême droite « le salon belge » a lancé une offensive contre les livres « à la gloire du gender » quelques jours AVANT que Jean-François Copé s’attaque à « tous à poil ». J’ai du mal à croire à la coïncidence. Pour moi, c’est un signe que l’UMP est prête à faire beaucoup pour draguer ce public d’extrême droite.

Le salon beige (je n’ai volontairement pas mis de lien et je pense vraiment que vous pouvez éviter d’aller sur ce site) est un site proche du « printemps français », un groupuscule constitué par les membres les plus radicaux de la manif pour tous autour de Béatrice Bourges. Dès le 4 février, ils dénoncent la présence d’articles « à la gloire du gender » dans les bibliothèques, en encourageant leurs lecteurs à contacter les bibliothèques ou les mairies pour exiger que ces livres soient retirés des rayons. Parmi les livres cités :

Mademoiselle Zazie et la robe de Max de Thierry Lenain (Nathan, 2011)

Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi? de Thierry Lenain (Nathan, 1998, réédité en 2011). La réaction de l’auteur et celle de l’éditeur.

Mes deux papas de Juliette Parachini-Deny et Marjorie Bréal (Des ronds dans l’O, 2013)

Jean à deux mamans d’Ophélie Texier (l’école des loisirs, 2004)

Papa porte une robe de Piotr Barsony, musique de Bumcello (Seuil, 2004, épuisé). La réaction de l’auteur.

La princesse qui n’aimait pas les princes d’Alice Brière-Haquet et Lionel Larchevêque (Actes Sud Junior, 2010). La réaction de l’auteur.

Frederic et Frédérique de Virginie Dumont et Michel Boucher (Actes Sud Junior, 1996)

Le jour du slip /je porte la culotte d’Anne Percin et Thomas Gornet (Rouergue, 2013). Ce livre a fait également l’objet d’attaques immondes sur le site la soupe de l’espace qui répond aux commentaires avec cet article. Le libraire a été menacé. Thomas Gornet a répondu sur son blog. Anne Percin y a répondu également et a décidé de fermer son blog suite aux réactions haineuses. Maman Baobab y consacre un article.

La fille qui voulait être un garçon de Stephanie Blake (l’école des loisirs, 2001, épuisé)

La nouvelle robe de Bill d’Anne Fine (l’école des loisirs, 1997)

Papa c’est quoi un homme haut sekçuel? d’Anna Boulanger (Zoom édition, 2007)

Un mariage vraiment gai de Muriel Douru (Ed. gaies et lesbiennes, 2004)

Tango a deux papas, et pourquoi pas ? de Béatrice Boutignon (Le baron perché, 2010, épuisé mais va être réédité en mars 2014). La réaction de l’auteur.

Quelques jours plus tard (le dimanche 9 février), Jean-François Copé s’attaque à la télévision au livre Tous à poil de Claire Franek et Marc Daniau (Rouergue, 2011).

tous à poil

Il affirme (entre autre) que montrer un policier ou une maîtresse « à poil » dans un album jeunesse sape l’autorité des policiers et des maîtresses. Il en vient même à affirmer, quelques jours plus tard, que cet album « c’est la défense de la lutte des classes. Car vous comprenez bien que le choix des profils qui ont été déshabillés dans Tous à poil c’est aussi pour montrer qu’on ne veut plus de la marque d’autorité » (source : ici).

L’illustrateur a répondu en disant : « Les enfants sont environnés d’images de corps plus ou moins dévêtus, dans la publicité, sur les abribus, sur les couvertures de journaux peopleNous avons voulu leur proposer un regard plus juste sur le corps. Et surtout, nous le faisons avec humour. »  Il en parle plus longuement ici. L’éditrice répond également à ces attaques et à celle portant sur « le jour du slip / je porte la culotte ».

Sur le blog de l’atelier des merveilles, on trouve une réponse à Jean François Copé, qui dit à propos du livre : « Cet album joueur montre la nudité, naturelle, intergénérationnelle, bienheureusement désérotisée, universelle, comme un acte de liberté, d’égalité et de fraternité : la joie de prendre un bain de mer sous le soleil ».

Une page facebook « Tous à poil » a été créée. La mare aux mots a lancé un pinterest « Tous à poils » ou des illustrateurs ont posté des dessins. Dans l’émission « la tête au carré » du 14 février, la psychanalyste Claude Halmos insiste sur le fait qu’il faut parler aux enfants de la différence des corps, des sexes, de la sexualité… et que les livres pour enfants sont un bon outil pour montrer comment sont fait les corps. « C’est normal que les enfants aient envie de voir ce qu’il y a sous les robes des dames ou dans les pantalons des messieurs, mais ils ont d’autant plus envie de le savoir qu’on ne leur a pas expliqué la sexualité ». Elle ajoute :  « parce qu’il (Jean-François Copé) s’imagine qu’on respecte la maîtresse parce qu’on s’imagine qu’à l’intérieur de sa robe, il y a un tronc d’arbre ? Enfin, c’est absurde »

Dans les faits, la polémique a fait exploser les ventes de Tous à poil, meilleure vente sur Amazon. Et apparemment, les demandes réelles de retirer les livres des rayons des bibliothèques ont été très limitées. Le nouvel obs parle même de « flop de l’offensive du printemps français« . Néanmoins l’article que je citais au début montre qu’au moins deux maires ont réagi. Si le maire DVD du Chesnay (Yvelines) Philippe Brillault n’a pas fait retirer le livre de la bibliothèque, il a fait placer une dizaine de titres auparavant stockés dans un bac accessible aux plus petits en hauteur sur une étagère du « fonds des parents ». Et « le maire UDI Jean-Christophe Fromantin assure, lui aussi, n’avoir reçu « aucune pression », bien qu’il ait reçu deux e-mails et un courrier incriminant cinq livres, dont certains sont en rayon depuis 1994. Les livres sont sur le bureau du maire, qui veut les consulter avant de prendre une décision. S’il juge qu’ils font la promotion de la théorie du genre, il « les retirer[a] après en avoir parlé aux élus. »

En tant que bibliothécaire, je trouve l’intervention directe de maires sur le contenu des bibliothèques très grave. Visiblement, Christophe Fromantin en parlera aux élus… mais ne se dit pas qu’il pourrait en parler avec les bibliothécaires dont c’est le métier ! Et ça, c’est effrayant.

Pas très rassurante non plus la réaction du gouvernement qui fait machine arrière à propos de « tous à poil » et de la pourtant superbe bibliographie de l’atelier des merveilles que je cite dans les ressources bibliographiques. Cet article explique comment cette bibliographie a été constituée et pourquoi elle fait partie des références de l’éducation nationale. (Aurélie Filippetti a cependant réagi vigoureusement).

Sans parler des insultes, menaces, commentaire haineux auxquels ont du faire face de nombreux libraires, auteurs, illustrateurs…

Mais je préfère conclure cet article sur du positif. Sur les réactions de l’ensemble des professionnels du livre, des auteurs illustrateurs (voir le communiqué de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse) aux bibliothécaires (voir le communiqué de l’Association des Bibliothécaires de France), en passant par les éditeurs (voir le communiqué du Syndicat National de l’Edition). En plus des réactions citées plus haut, je voudrais ajouter celles d’un auteur (Claude Ponti). Mais aussi celle d’une éditrice (Emmanuelle Beulque, éditions Sarbacane), d’un autre éditeur (Alain Serre, Rue du Monde). Celle de libraires indépendants (les librairies sorcières). Celle de la directrice du salon du livre jeunesse de Montreuil. Je voudrais aussi citer des réactions de blogueurs en littérature jeunesse, parce qu’à mes yeux ils jouent un rôle important dans la défense de la littérature jeunesse et de sa richesse : la mare aux motsChlop, Laurette.

 

Edit du 15/02/2014 : ajout de liens.