Masculin neutre et conséquence sur les représentations

Dans la littérature jeunesse, les personnages non genrés sont très rares. On reconnait quasiment toujours immédiatement un homme d’une femme, un petit garçon d’une petite fille.

Sylvie Cromer, Carole Brugeilles et Isabelle Cromer : Comment la presse pour les plus jeunes contribue-t-elle à élaborer la différence des sexes ? (2008) :

« La bicatégorisation de sexe est en fait une sous-catégorisation du féminin à partir d’un « masculin-neutre » : ainsi pour marquer un personnage comme féminin sont ajoutés des attributs spécifiques, comme des nœuds, robes, bijoux, état de grossesse, des seins, à partir en fait d’un neutre déclaré comme masculin. Aussi le masculin apparaît-il comme représentant de l’universel, englobant le masculin et le neutre, et le féminin comme une sous-catégorie. »

Sylvie Cromer le réaffirme dans cet entretien« Pour faire une fille, on prend un garçon et on lui ajoute quelque chose » (des cheveux longs et une robe rose pour la petite fille, un tablier pour la maman…).

Une image trouvée dans le magazine Tralalire de mars 2015 me semble particulièrement parlante de ce point de vue là :

image

Lou le loup est un des héros récurrents du magazine. On crée à partir du personnage masculin une version féminine en lui ajoutant un collier et une fleur rose !

Sylvie Cromer conclut dans Le masculin n’est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le théâtre pour enfants (Cahiers du genre n°49, 2010) :

Ces marques qui ‘altérisent’ et ‘désuniversalisent’ empêchent l’accès du féminin au statut du neutre et le constituent, non pas en un autre sexe à part entière, mais le déclinent comme sous-catégorie du masculin. Par là, en creux, est induite l’idée d’un masculin premier, équivalent à un neutre. Cette particularisation du féminin n’est pas spécifique aux productions de la jeunesse mais innerve notre mode de pensée : qu’on songe aux nœuds dont on affuble sans nécessité — si ce n’est celle de marquer le sexe — les bébés filles ou l’énoncé fallacieux des règles grammaticales, tel que « on ajoute un ‘e’ pour former le féminin ».

Vous avez d’autres exemples ?

Je vous parle très vite des (rares) cas où les personnages de littérature jeunesse ne sont pas genrés, ce qui ne règle pas forcément le problème…

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4 commentaires

  1. Bonjour,
    Je découvre votre blog avec beaucoup d’intérêt. Mère d’une petite fille de 2 ans, je m’arrache les cheveux pour lui faire découvrir des livres qui lui laissent toute la liberté de devenir la femme qu’elle souhaite être, et vos articles sont une mine d’or.
    En ce moment, ma fille est fan des albums Petit Ours brun, Tchoupi, Crocolou, qui racontent la vie d’un enfant de son âge et auquel elle peut s’identifier. Je m’attendais à lire des préjugés sur les rôles des mères/grand-mères (cuisine et parentalité) et pères/grand-pères (jardinage et bricolage) ; j’ai quand même été choquée qu’une série aussi récente que celle de Crocolou puisse proposer un « Crocolou aime son papa » où l’enfant part faire une balade dans les bois avec son père tandis que dans « Crocolou aime sa maman », l’enfant attrape la varicelle et est chouchouté par sa maman.
    Mais ce qui m’a le plus frappé rejoint le sujet de votre article : Petit ours brun, Tchoupi ou Crocolou sont toujours des petits garçons. Et ces petits garçons ont tous des petites soeurs, de 2-3 ans plus jeune. Ainsi, l’image qui est systématiquement montrée, c’est celle d’un garçon leader et héros de l’histoire, suivi par une fillette toujours à la traîne, toujours plus bébé, toujours plus dépendante.
    Et que ce soit le seul modèle présenté à ma fille m’agace au plus haut point. Heureusement que je trouve ici de très bonne idées de lectures !

    1. Bienvenue ici et merci pour les compliments ! Tout à fait exact sur le modèle grand frère/petite soeur, ça mériterait un article, tiens !
      Si vous cherchez des livres proche de la vie quotidienne des enfants, perso j’aime bien Mimi Cracra ! Ses expériences sont proches de celles des enfants, mais elle a beaucoup de liberté. et comme héroïne pour les tout-petits, j’aime bien Zuza d’Anaïs Vaugelade, mais là on est dans un univers beaucoup plus fantaisiste !

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