Une minute, Alfred ! de Virginia Miller

Il y a quelques temps, j’ai posté sur le blog cette couverture d’album :

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Que voyez-vous sur cette image ?

J’ai fait le test autour de moi, en demandant simplement aux gens ce qu’ils voyaient sur cette couverture. Réponse unanime : une mère qui fait le ménage, avec son enfant. (bon, certains me connaissant bien ont grugé : « un ours faisant le ménage » « un… parent faisant le ménage », mais ont reconnu que leur première pensée a été : une mère faisant le ménage).

Il s’agit en fait d’un papa et de son fils. Le père s’occupe des tâches ménagères (ranger le bois, étendre le linge, passer le balai, faire la vaisselle) et son fils attend impatiemment « une minute » que le père ait fini « son travail » pour jouer avec lui.

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Alfred, lui, ne veut qu’une chose, imiter son papa, et quand il va enfin pouvoir jouer, il va jouer à… ranger les bûches, étendre le linge, faire la vaisselle et passer le balai ! C’est (aussi ? surtout ?) en imitant leurs parents, en les voyant se détacher des stéréotypes sexistes que leurs enfants, qui cherchent à les imiter, vont pouvoir le faire.

Je parle longuement de tout le bien que je pense de cet album sur Lila blogue, dans un article qui complète celui-ci. Et on en trouve aussi une présentation ici. Cet album n’est malheureusement plus édité mais on le trouve encore relativement facilement en bibliothèque (ici à Paris). Il s’inscrit dans une série autour d’Alfred qui mettent tous en scène Alfred et son papa, mais dans ceux que j’ai lu, jamais sa maman.

Je vais revenir ici sur le fait que pour la plupart des gens, le fait de voir un ours faisant le ménage en tablier en s’occupant de son enfant en fait forcément une femme. Je vais commencer en citant un extrait de « Stéréotypes : la face invisible des inégalités » de Nina Schmidt (qui est également l’auteur de l’étude « BD, DVD, livres pour enfants : la portion congrue des héroïnes » dont j’ai parlé ici) :

Au fondement de notre vie en société, il y a ce que les sociologues nomment le « processus de catégorisation » du monde qui nous entoure. Autrement dit, on découpe notre environnement « en ensembles de personnes ou de choses de même nature à partir de leurs caractéristiques ». On classe les informations, on leur met des « étiquettes ». Bien pratique, fonctionnel, voire indispensable pour se repérer et plus généralement appréhender la réalité.

On sait qui est qui, quoi est quoi, qui fait quoi, qui se comporte comme ceci ou comme cela, et donc, comment utiliser tel ou tel objet ou s’adresser à telle ou telle personne. Par exemple, inconsciemment, on n’emploie pas le même langage avec un enfant qu’avec un adulte, avec un boulanger qu’un enseignant, etc.

Seulement, cette « catégorisation » sociale du monde environnant peut vite dériver vers la caricature, dégénérer en généralisations, c’est-à-dire en représentations simplifiées et grossières, figées, préconçues, déformées et imprécises de la réalité. Ce sont là les caractéristiques du stéréotype.

Ces stéréotypes, tout le monde les a intégrés, y compris ceux qui luttent contre le sexisme. Et il est indispensable de tenter de déconstruire les stéréotypes souvent inconscients (moi-même, j’ai longtemps présenté « ma voiture » de Byron Barton qu’aux petits garçons, « parce qu’un livre de voitures, ça allait marcher » avant de réaliser que les petites filles adoraient tout autant ce livre).

Pour cela, j’avais envie de vous présenter un outil très utile, qui répond d’ailleurs très bien à cet album puisqu’il y est question d’ours. Il s’agit de l’opération « Cassons les clichés » menée en 2011 par la ligue de l’enseignement dans des classes de CP ou de CE1 (opération présentée ici par EgaliGone). Un ours, toujours dessiné de la même manière, est mis dans différentes situations de la vie quotidienne et les enfants doivent dire si c’est « madame ourse », « monsieur ours », ou si ça peut être les deux.

cassons les clichés

Un chouette point de départ pour une discussion avec des enfants, mais aussi un moyen de s’interroger soi-même. Oui, en lisant l’énoncé, le contexte, on répond « les deux » (enfin, j’espère), mais quelle serait notre toute première réaction instinctive en tombant sur ces images ?

Je vous donne les liens vers le livret « élèves », le livret « enseignants » qui donne des conseils pour l’utilisation du livret « élèves » mais aussi des pistes plus générales sur la manière de lutter contre les stéréotypes sexistes dans les classes et et le livret « parents », qui présente aux familles le but de l’opération, mais aussi une rapide présentation des stéréotypes de genre rédigée par des membres de l’association Mix-Cité et une intéressante bibliographie. Leur conclusion :

Nous voulons rappeler que la famille n’est pas neutre puisqu’elle prend activement part avec l’école et la culture à la construction d’individus répondant aux rôles sexués classiques : rose pour les filles, bleu pour les garçons, disions-nous en introduction. La conquête de l’égalité en droit a contribué à maintenir le mythe selon lequel l’égalité est réalisée. Remettre en question cette idée reçue devrait être encore un objectif primordial pour les parents, enseignant-e-s et éducateurs-trices. Faire prendre conscience aux parents que l’éducation au quotidien des enfants n’est pas neutre mais différente pour les filles et les garçons, que cela entrave l’épanouissement des enfants et cimente les inégalités. En effet, une fois conscientes et conscients du sexisme ordinaire, nous pourrons enfin réfléchir à une éducation égalitaire pour le plus grand bonheur de nos enfants.

Je vous laisse sur ces mots en vous encourageant vivement à lire cet album si vous tombez dessus.

5 commentaires

  1. Je ne découvre votre blog que maintenant et j’en suis ravie parce qu’il me permet de découvrir d’autres ouvrages et outils de sensibilisations.
    Merci !

    1. Merci pour les compliments et ravie que ça serve !
      De mon côté, votre commentaire m’a permis de retourner sur votre site, qui bêtement n’était pas dans mes favoris, et de découvrir aussi plein de choses ! le tumblr mi-kids mi-raison par exemple !

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