Thierry Magnier

Homosexualité dans les albums jeunesse, partie 1

J’ai participé il y a quelques temps à une table ronde sur la représentation des LGBT dans la littérature jeunesse (dire que quand j’ai commencé cet article, il débutait par « je vais participer dans quelques temps à une table ronde »…) avec Mx Cordelia, Anne-Fleur Multon, Marie de Ce que tu mates et Hélène Breda.

Elle a été enregistrée et on peut l’écouter ici :

 

Et c’était vraiment chouette ! (j’espère que ça l’est aussi à l’écoute, mais en tout cas j’ai adoré y participer). Pour cette table ronde, je me suis plus particulièrement penchée sur les albums jeunesse. Et j’ai eu envie d’en parler ici aussi, de manière complémentaire à la table ronde, en vous présentant des titres, en vous montrant des extraits d’albums, etc.

Je parlerai ici d’homosexualité quasiment uniquement, la bisexualité et la transidentité étant absentes, ou presque, des albums jeunesse.

 

Une représentation très récente

Les représentations explicites d’homosexualité dans les albums pour enfants sont inexistantes jusqu’à très récemment, c’est-à-dire au début des années 2000. Soit un peu plus tard que dans les romans jeunesse, où ils apparaissent de manière discrète au début des années 1990.

Cependant, bien avant, certaines situations, certains personnages se prêtent à une interprétation homosexuelle : des « amis » qui vivent ensemble, en particulier. Je pense par exemple à Poule Rousse d’Etienne Morel et Lida, publié en 1949, où les deux amies emménagent ensemble et où la dernière phrase évoque la fin heureuse des contes pour les couples hétérosexuels.

poule rousse

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(et elles lisent ensemble la plus mignonne des petites souris, un des albums préférés de toute mon enfance mais aussi un des livres les plus sexistes qui soient…).

Et c’est encore le cas dans des livres plus récents. On peut par exemple citer Renard & Renard de Max Bolliger et Klaus Ensikat (Joie de Lire, 2002).

renard & renard

L’éditeur parle, dans la présentation de l’album, de deux frères, mais rien (en tout cas dans la traduction française) ne l’indique dans le texte du livre. On voit juste deux renards mâles aux caractères opposés vivre ensemble, se manquer quand ils sont séparés, et s’aimer. L’album se termine sur cette phrase : « par dessus-tout, il s’ennuyait du renard peureux qui l’attendait dans leur terrier ».

Chez ce même éditeur, je m’interroge sur va faire un tour ! de Joukje Akveld et Philip Hopman, publié en 2017, alors qu’on trouve désormais régulièrement des livres évoquant explicitement l’homosexualité.

va faire un tour

Ce livre commence par ce qui ressemble fort à une scène de ménage entre William et Bruno, qui vivent ensemble. Bruno, agacé, part faire un tour en vélo, tout en pensant à William. Cette séparation leur permet de se calmer et ils sont heureux de se retrouver. L’album s’achève sur une image des deux personnages qui dinent ensemble dans leur cuisine. Une photo sur le mur ressemble fortement à une photo de couple. Et pourtant, Bruno désigne William comme son ami.

Mais s’il était impensable de parler homosexualité dans un album dans les années 50, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Alors couple ou collocation ? Je serais curieuse de savoir ce qui est dit dans la version originale, en néerlandais.

Ces livres laissent aussi, et ça peut être précieux, une liberté d’interprétation au jeune lecteur. Qui peut ainsi y puiser ce dont il a besoin.

 

Le premier album a utiliser ouvertement le mot homosexuel, à ma connaissance, c’est Marius de Latifa Aloui M. et Stéphane Poulin, à l’atelier du poisson soluble, en 2001. Mais plusieurs albums abordent le sujet de l’homosexualité juste avant : l’heure des parents de Christian Bruel et Nicole Claveloux (Etre, 1999), Camélia et Capucine d’Adela Turin et Nella Bosnia (Actes Sud Junior, 2000). Enfin, un précurseur, si on le compte parmi les albums et non parmi les romans première lecture (il est à la limite entre les deux), Je me marierai avec Anna de Thierry Lenain et Mireille Vautier (éditions du sorbier, 1992).

 

On va ensuite voir une première vague d’albums mettant en scène des personnages homosexuels au milieu des années 2000, avant une nouvelle accélération de la production depuis le mariage pour tous et les années 2012-2013. Cependant, on reste dans une production de niche, souvent par de petits éditeurs (voir des micro-éditeurs militants). Ce qui pose la question de la diffusion des livres et de l’accès du grand public à ces questions.

 

Homoparentalité

Dans les albums jeunesse, actuellement, la présence de l’homosexualité est souvent, avant tout, homoparentale. Les premiers livres à aborder la question apparaissent donc autour de 2000, et se multiplient depuis le mariage pour tous. Certains sont purement narratifs, beaucoup ont des velléités documentaires.

Le premier cas que l’on trouve, c’est celui de la famille recomposé, avec un enfant issu d’un couple hétérosexuel.

Marius, donc, est un petit garçon de 5 ans qui raconte son quotidien avec ses mots à lui. Ses parents se sont séparés, il a donc deux maisons, et « maintenant maman a un amoureux et mon papa aussi ».

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Il raconte pêle-mêle sa cabane dans le jardin, son amoureuse la « femme-pirate », l’amoureux de sa maman qui « n’aime pas qu’on lui coupe la parole » et l’amoureux de son papa qui « rouspète quand je parle en même temps que le monsieur de la télévision ». Mais aussi l’incompréhension de certaines personnes de son entourage : sa grand-mère ou son institutrice.

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C’est un très bel album et avec des illustrations très fortes et originales de Stéphane Poulin à la peinture à l’huile.

On trouve ici une situation qu’on retrouvera dans plusieurs album : un enfant pour qui la situation est évidente, et qui la dit, sans aucune difficulté. Et les préjugés des adultes, les remarques homophobes auxquelles l’enfant doit faire face. Sans forcément les comprendre vraiment.

 

Dans la quasi totalité des livres, donc, l’homosexualité du parent est totalement accepté par l’enfant. Le seul livre que j’ai lu où c’est l’enfant qui rejette l’homosexualité de son père, c’est l’amoureux de papa d’Ingrid Chabbert et Lauranne Quentric (Kilowatt, 2017), comme on le voit dans la vidéo les livres pour enfants sur l’homoparentalité 2 : Amandine, l’héroïne, elle aussi issue d’un couple hétérosexuel séparé, refuse l’homosexualité de son père et son nouveau compagnon (qui se trouve être son instituteur). Elle comprendra ensuite que « c’est de l’amour tout ça, juste de l’amour », grâce à son père, sa mère et ses amis. Mais il ne s’agit pas d’un album, mais d’un roman première lecture, « à lire seul(e) dès 7-8 ans ».

amoureux de papap

 

 

De nombreux albums mettent en scène des  « catalogues de familles » : on y présente tous types de familles, « classiques », adoptives, monoparentales, recomposées, homoparentales, etc.

Le précurseur, et celui qui reste mon chouchou, c’est l’heure des parents de Christian Bruel et Nicole Claveloux, qui a été édité une première fois chez Etre en 1999, puis réédité par Thierry Magnier avec une couverture différente en 2013. J’en parle en détails ici.

heure parents

Camille (enfant volontairement non genré) s’endort devant son école et rêve de plein de familles différentes. Sur chaque double page, Camille va s’imaginer dans une nouvelle famille et tous types de familles vont être abordées, mais aussi tous types de parents, différents les uns des autres par leurs hobbies, leurs métiers, leurs façons d’être parent. Toutes ces familles sont toutes mises sur le même plan. Et surtout, elles sont toutes présentées de façon positive, dans des situations de jeu, de câlin, d’affection. On y trouve une famille avec deux mamans, une famille avec deux papas :

 

On trouve de nombreux titres sur ce principe de catalogue. Dans Mais… comment naissent les parents ? de Jean Regnaud et Aude Picault (Magnard, 2014) demande à ses copains comment naissent les parents, et chacun lui raconte sa naissance (naturelle, adoptive, par PMA…) et on y voit un couple de mamans. Dans Un air de familles, le grand livre des petites différences de Béatrice Boutignon (Le Baron perché, 2013, épuisé), ce sont toutes sortes de familles d’animaux dans des situations de la vie courante (dans leur nid, à l’extérieur ou au musée). Il n’est pas narratif, ce sont simplement des tableaux, et on peut prendre chaque page individuellement. Dans Camille veut une nouvelle famille de Yann Walcker et Mylène Rigaudie (Auzou, 2013), le petit garçon est agacé par ses parents et décide de se chercher une nouvelle famille. Il va donc voir les familles de ses copains. L’un vit avec ses deux papas. Mais ce livre tombe, à mes yeux, dans un travers qu’on voit parfois, la reprise des stéréotypes sexistes du couple hétérosexuel : l’un des pères est présenté comme fort, l’autre comme doué en cuisine… Enfin, Familles de Patricia Hegarty et Ryan Wheatcroft présente cette fois des humains réalistes au cours d’une journée et de ses différentes activités, et met en avant le côté aimant et protecteur de la famille. Il y a une famille avec deux papas. Cet album fait également attention à la diversité (couples mixtes, familles racisés, personnages handicapés). Et j’adore les illustrations de cet album, mais je trouve le texte sans grand intérêt…

 

On trouve d’autres albums beaucoup plus centrés sur une famille homoparentale. Les premiers que je présente ici utilisent, comme souvent dans les albums jeunesse, des animaux, anthropomorphiques ou non.

Commençons par deux albums mettant en scène un couple de manchots mâles, Roy et Silo, ayant couvé un œuf ensemble et élevé la petite manchote qui en est sortie. Ils sont inspirés par une histoire vraie qui a eu lieu au zoo de New York. Le premier, Tango a deux papas, et pourquoi pas ? est de Béatrice Boutignon et a été publié en 2010 au Baron Perché (il est désormais épuisé). Le second, et avec Tango, nous voilà trois ! de Justin Richardson, Peter Parnell et Henry Cole a été publié en France par Rue du Monde en 2013, mais la publication aux USA date de 2005.

Je n’ai lu que le premier, qui est très mignon, avec de jolies illustrations, mais dont le texte est un peu longuet.

Avec Jean a deux mamans d’Ophélie Texier (l’école des loisirs, 2004), on a cette fois des animaux anthropomorphiques.

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Jean raconte de façon factuelle sa vie quotidienne avec ses deux mamans, les activités de chacune et ses jeux d’enfants. J’en ai parlé ici. Publié en 2004, chez un grand éditeur (donc bien distribué) et indiquant clairement l’homoparentalité dès le titre, il a fait scandale à sa sortie (j’y reviendrai). Il a le mérite de s’adresser directement aux tout-petits, par son illustration et son texte simple et par le fait qu’il est cartonné. Cependant le dessin et le texte se révèlent sans grand intérêt. Et surtout, il reproduit des stéréotypes courants dans le couple hétérosexuel. Ainsi, la mère qui a porté l’enfant se retrouve cantonnée aux activités traditionnellement féminines (cuisine, couture, consoler l’enfant…) et porte un tablier alors que l’autre mère se retrouve liée aux activités traditionnellement masculines (bricolage, chahut, etc).

Avec mes deux papas de Juliette Parachini-Deny et Marjorie Béal (des ronds dans l’O, 2013), après les manchots et les loups, place aux oiseaux. Un couple de deux mâles trouve un œuf, le couve, en prend soin. On est ici à nouveau dans l’anthropomorphisme, leur petite fille ira à l’école, etc.

mes deux papas

Le texte est simple, les illustrations aussi, et il est donc accessible aux tout-petits.

 

Dans les deux albums qui suivent, on a des personnages humains et des illustrations beaucoup plus réalistes. Dans la fête des deux mamans d’Ingrid Chabbert et Chadia Loueslati (les petits pas de Ioannis, 2010, épuisé), une petite fille fabrique au centre de loisirs un cadeau de fête des mères. Mais à qui l’offrir ? La petite fille se renferme sur elle-même. Mais ses mamans vont l’aider à trouver une solution.

fête des deux mamans

 

Dans les papas de Violette, d’Emilie Chazerand et Gaelle Souppart (Gautier-Langereau, 2017), la petite fille parle de sa vie avec ses deux papas, de la manière dont ils prennent soin d’elle, de ce qu’elle partage avec eux. Mais elle fait aussi face aux moqueries homophobes de ses camarades de classes, et ses papas ont aussi des difficultés à faire face au regard des autres… Vous pouvez en voir plus ici.

papas de violette

Personnellement, j’ai trouvé le propos un peu trop appuyé, mais il a l’intérêt de mettre en scène des humains réalistes, et il est utile si vous cherchez un album concret et réaliste sur la question.

Et enfin, on bascule dans l’univers du conte avec le fils des géants de Gael Aymon et Lucie Rioland (Talents Hauts, 2013).

fils des géants

Un tout petit tout petit enfant est abandonné par ses parents, le roi et la reine, qui le trouvent trop petit pour survivre. Il est heureusement recueilli par deux géants qui lui donnent leur force et leurs mots, pour l’aider à grandir. Gael Aymon a décidément bien du talent pour revisiter les contes. Ici, si les mots homoparentalité ou homosexualité ne sont pas présents, c’est une lecture assez évidente. Et surtout, le conte souligne que ce qui compte vraiment, pour faire une famille, pour faire des parents, ce n’est pas le sang mais l’amour et l’attention prodigués. Une très belle histoire.

Et cette histoire me permet de commencer à dire que l’univers des contes de fées à souvent été choisi pour évoquer l’homosexualité, mais ça j’en parlerai dans un second article parce que celui-ci est déjà très long… La suite dès que possible, donc !

 

Diversité des familles

Nous avons parlé des rôles et des représentations des pères et des mères dans les albums pour les petits, mais ils ne sont pas présents dans toutes les familles, et nous avons ensuite parlé des diversités familiales, des familles qui sortent du modèle un papa/une maman.

Nous avons cherché des livres sur des parents séparés. Force est de constaté que la production éditoriale est très pauvre sur le sujet, surtout pour les tout-petits : les albums sont peu nombreux et ceux qui existent nous ont souvent déçu par leur piètre qualité. Nous n’avons donc pas abordé tous les sujets que nous souhaitions, et en particulier la séparation des parents et le temps partagé entre deux maisons. Si vous avez des titres intéressants, les commentaires vous sont ouverts !

On commence avec une famille monoparentale dans le papa qui avait 10 enfants de Bénédicte Guettier (oui, celle de l’âne Trotro) (Casterman, 1997).

papa qui avait 10 enfants

Dans cet album, comme le titre l’indique, un père s’occupe (seul) de ses 10 enfants : habillage, trajets jusqu’à l’école, préparation des repas et histoire du soir. Ce papa, un peu débordé, semble quand même assumer pas mal. Tout pour lui est compté sur une base de 10 : bisous, brossage des dents, vêtements (chaussettes : 20), repas (mûres : 100), etc. Ici, donc, l’image d’un papa qui s’occupe des tâches ménagères comme éducatives, ce qui est encore rare dans la production jeunesse. En “collant” 10 enfants à ce pauvre homme, l’auteur caricature la situation comme elle caricature son dessin : trait noir épais, dessin très simple, très en mouvement et couleurs très vives « sorties du tube ».

Dans ce livre, il n’y a pas de mère. Elle n’est même pas évoquée et personne ne dit pourquoi. C’est un état de fait et nous l’acceptons car l’auteur commence le livre à la manière d’un conte : « Il était une fois un papa qui avait 10 enfants. »

On remarque tout de même sa fatigue. Et un jour, il ose l’interdit (il l’a même prémédité puisqu’il construisait le soir un bateau). Il confie ses enfants à la grand-mère et s’offre le rêve absolu : être seul, dormir, faire une activité rien que pour lui (pêcher). Abandon temporaire : il s’offre 10 mois. Mais voilà, au bout de 10 jours ses enfants lui manquent déjà !

À sa manière, ce livre nous parle d’une situation très réelle. Qui n’a pas rêvé de ne plus avoir d’enfants temporairement ? Dans les albums, on aborde presque jamais la fatigue, ou le ras-le-bol des parents (qui plus est, du parent seul). L’auteur nous décrit une situation proche du burn-out mais elle le fait avec beaucoup d’humour et de tendresse.

 

Nous avons ensuite abordé la question de l’homoparentalité, avec deux livres au parcours éditorial très différent.

Jean a deux mamans d’Ophélie Texier (école des loisirs, 2004).

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Ce livre fait partie d’une série : « les petites familles », des petits livres cartonnés toujours au même format avec animaux anthropomorphes, qui proposent différentes configurations familiale : famille recomposée, enfant adopté, différentes formes de fratries, etc.

il s’adresse directement aux tout-petits (tout cartonné, dessin simple…). Edité en 2004, avant que ce sujet soit mis sur le devant de la scène par le mariage pour tous, il affirme l’homoparentalité dès le titre. De plus, il est publié à l’école des loisirs, le plus gros éditeur de littérature jeunesse et non par un éditeur militant et bénéficie donc d’une distribution plus large. Il a donc a le mérite d’exister. Comme il aborde le sujet très frontalement dès le titre, ce livre est très identifié, à la fois par des personnes qui s’intéressent au sujet et par les réacs (quand ce livre a été publié, des associations catholiques ont porté plainte, et il a été par la suite l’objet d’attaques de la manif pour tous). Il était d’ailleurs connu par plusieurs des professionnelles et présent dans plusieurs crèches. Une auxiliaire expliquait qu’elles l’avaient beaucoup lu car un enfant de la crèche avait deux mères et que « ça permet d’en parler ». Elle évoque des parents choqués qu’on mette ce livre à disposition (« on leur a répondu que c’était la réalité, que ça existait et qu’on vit tous ensemble »). Dans d’autres cas, ce sont des professionnelles qui avaient beaucoup de mal à le lire, qui le cachaient.

Un enfant raconte de façon factuelle sa vie quotidienne avec ses deux mamans, les activités de chacune et ses jeux d’enfants.

Cependant, le dessin et le texte se révèlent sans grand intérêt. Et surtout, il reproduit des stéréotypes courants dans le couple hétérosexuel. Ainsi, la mère qui a porté l’enfant se retrouve cantonnée aux activités traditionnellement féminines (cuisine, couture, consoler l’enfant…) et porte un tablier alors que l’autre mère se retrouve liée aux activités traditionnellement masculines (bricolage, chahut, etc). On y trouve donc une vision très hétérosexuelle (et très stéréotypée) d’un couple homosexuel. Loin de s’opposer aux clichés, il les reproduit.

 

 

L’heure des parents de Christian Bruel et Nicole Claveloux (Thierry Magnier, 2013. 1e édition : Etre, 1999) n’aborde pas spécifiquement l’homoparentalité, mais présente toutes sortes de familles.

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Ce livre a un parcours éditorial différent du précédent. Si cet album peut être lu dès la crèche, il ne s’adresse pas spécifiquement aux tout-petits puisqu’on est ici à la sortie de l’école, que c’est un livre papier, et qu’il peut aussi être proposé à des enfants un peu plus grands. Il a été publié pour la première fois en 1999 chez Etre, une petite maison d’édition militante. Christian Bruel, à la fois auteur et éditeur, cherche toujours à lutter contre les stéréotypes. Le livre a ensuite été réédité en 2013 par Thierry Magnier (avec d’autres livres de cet auteur dont l »histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, pour des enfants un peu plus grands, dont j’ai parlé ici).

Le personnage du livre, Camille, n’est pas genré. On est ici dans le contexte du rêve, puisque l’enfant s’endort à la première page et qu’on retrouve à la dernière page, où il est avec ses parents, des éléments concret qu’il a mêlé à ses rêves (les gâteaux, la bouée, etc). Sur chaque double page, Camille va s’imaginer dans une nouvelle famille et tous types de familles vont être abordées : familles homoparentales, adoptives, recomposées, monoparentales… Mais aussi tous types de parents, différents les uns des autres par leurs hobbies, leurs métiers, leurs façons d’être parent.

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Toutes ces familles sont toutes mises sur le même plan. Et surtout, elles sont toutes présentées de façon positive, dans des situations de jeu, de câlin, d’affection.

Ce livre nous semble donc beaucoup plus riche que le précédent, par la présence du rêve et les liens avec la réalité quotidienne de Camille, par une vraie remise en cause des stéréotypes et par une illustration plus riche.

 

Une auxiliaire est gênée qu’on propose, sur ces sujets là, trop souvent des livres avec des animaux, que cela manque de représentations “réalistes” d’êtres humains. Une collègue souligne que l’anthropomorphisme (le fait de présenter des animaux qui se conduisent comme des humains, qui parlent, sont habillés, etc) permet à l’enfant de s’identifier mais aussi de prendre de la distance avec ce qui se passe dans le livre, plus facilement que quand les personnages sont humains. Ainsi, dans l’heure des parents, cela correspond à une volonté que le message ne soit pas trop appuyé, que l’enfant ait le choix de s’identifier ou non. Elle défend donc l’importance de la diversité des représentations, entre anthropomorphisme et personnages humains. D’autres livres de la sélection proposent des personnages humains très réalistes.

 

La suite de cette matinée de présentation concernait d’autres formes de diversité (humaine, culturelle) qui ne sont pas les sujets directs de ce blog. La suite du compte-rendu sera donc publié dans quelques jours sur mon autre blog sur lequel je parle plus largement de littérature jeunesse, la licorne et ses bouquins.

La princesse parfaite

Les princesses présentées précédemment sont loin d’être parfaites. La princesse dont je vous parle maintenant l’est, parfaite. Mais ce n’est pas si enviable…

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La princesse parfaite de Frédéric Kessler et Valérie Dumas (Thierry Magnier, 2010)

Dans ce royaume, « les princesses ont pour prénom le don qu’elles ont reçu de leur marraine ». Le roi choisit pour sa fille le don de perfection.

Depuis ce jour, Princesse-Perfection est en tout point parfaite. A un an, elle parle parfaitement pour faire plaisir à papa. A deux ans, elle range sa chambre et s’habille seule pour faire plaisir à sa gouvernante. A trois ans, elle sait lire et écrire pour faire plaisir à sa maman. A quatre ans, elle parle dix langues vivantes pour faire plaisir à son professeur de langues vivantes. A cinq ans, elle parle dix langues mortes pour faire plaisir à son professeur de langues mortes. A six ans, pour faire plaisir à sa mère, elle joue du piano en sourdine pour ne pas déranger son père. Et à sept ans, elle sait tout sur tout pour faire plaisir à tout le monde.

Les années passent, et Princesse-Perfection devient une jeune fille parfaitement élégante, cultivée et obéissante pour le plus grand plaisir du roi ».

En cherchant à être parfaite, et donc à satisfaire les désirs de tous pour apparaitre parfaite à leurs yeux, la princesse perd de vue ce qu’elle désire elle. Mais sur les conseils de sa mère, elle choisit une nouvelle marraine pour ses 16 ans, qui la débarrasse de ce don de perfection beaucoup trop encombrant et souligne qu’elle est naturellement capable de nommer ses désirs et choisir ce qui est bon pour sa vie.

« Tu feras des erreurs, sans conte, mais tu recommenceras forte de ton expérience. Tu échoueras parfois, mais tu réussiras aussi. »

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Elle s’autorise alors à créer selon ses désirs et à être fière de ses créations, même si la robe qu’elle coud n’est pas parfaite et qu’elle a raté l’ourlet. Elle s’autorise à vivre SA vie.

Cet album insiste sur le fait que savoir ce que l’on désire, être capable de faire des choix et de les faire pour soi et pas seulement pour les autres, c’est beaucoup plus important qu’être parfaite au regard des autres. Quelque chose de très important à rappeler à nos enfants, et peut être encore plus aux filles à qui on a tendance à apprendre à « faire plaisir ». On s’éloigne donc fortement de l’image de perfection finalement très artificielle des princesses.

On retrouve, pour le reste de l’histoire, les classiques des contes : des fées marraines, une reine qui meurt trop tôt, une marâtre, et pour finir un mariage heureux avec un prince charmant. Et, le plus gênant à mes yeux au niveau des stéréotypes de genre, une femme qui sacrifie son indépendance et son pouvoir par amour alors que l’homme ne renonce à rien.

J’ai cependant apprécié, à la fin de l’histoire,

La princesse vécut encore quelques années au château avec son père, sa belle-mère et ses demi)frères et soeurs. Entre elle et Margareth ce ne fut jamais le grand amour, mais au fil du temps chacune finit par trouver sa place afin de vivre en bonne entente.

Une chronique de cet album sur Ricochet.

Un an déjà ! Et un concours pour fêter ça

Je viens de me rendre compte que le blog avait un an… et déjà quelques jours ! Sur ce blog qui a pourtant commencé suite à une polémique d’extrême droite contre la littérature jeunesse et par pas mal de coups de gueule, je tiens avant tout à réunir des ressources utiles pour proposer autre chose. Présenter des bibliographies, des sélections, des livres coups de cœur

Et même si j’ai été moins présente ces derniers temps, et que je ne sais pas trop quelle disponibilité j’aurai dans les mois qui viennent (probablement pas énormément…), j’ai plein d’envies, d’idées, etc. Dans mes brouillons et mes articles à rédiger, on trouve aussi bien la suite de l’analyse de l’association du côté des petites filles, une analyse de la presse pour petites filles, une série d’articles sur « Max et Lili », la présentation des albums on n’est pas des poupées et on n’est pas des super héros

En attendant, pour fêter ce premier anniversaire, j’avais envie de vous faire un petit cadeau en vous faisant gagner deux livres, dont j’ai parlé cette année. Un livre pour vous (ou votre ado), et un livre pour enfants.

Vous pouvez donc gagner l’histoire de Julie qui avait une ombre de garçon dont j’ai parlé ici.

Histoire Julie ombre garçon Thierry Magnier

Ou les mots indispensables pour parler de sexisme dont j’ai parlé . mots indispensables pour parler du sexisme Pour participer au tirage au sort, dites moi pour quel livre vous participez (Vous pouvez participer pour les deux livres si vous le souhaitez, mais je ferai en sorte qu’il y ait deux gagnants différents), et parlez moi d’un livre antisexiste pour enfant qui vous plait particulièrement ou d’un livre pour adulte qui vous a poussé à vous intéresser au féminisme.

Je tirerai le gagnant au sort le dimanche 8 mars, vous pouvez participer jusque là !

Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon

Aujourd’hui, on vous parle, avec Gabriel de la Mare aux Mots, de l’histoire de Julie qui avait une ombre de garçon de Christian Bruel, Anne Galland et Anne Bozellec. Vous pouvez retrouver sa chronique ici.

Histoire Julie ombre garçon sourire qui mort      histoire de julie qui avait une ombre de garçon

Histoire Julie ombre garçon Thierry Magnier

 

Ce livre c’est le portrait de Julie.

Julie n’est pas polie

elle suce encore son pouce

Julie est très jolie

mais voudrait être rousse

Julie n’est pas très douce

elle n’aime pas les peignes

et se cache sous la mousse

pour ne pas qu’on la baigne

Julie sait ce qu’elle veut

elle en parle à son chat

ils ont de drôles de jeux

que ses parents n’aiment pas

Mais elle voudrait qu’on l’embrasse quand même

Ses parents lui reprochent tellement d’être un « garçon manqué » qu’un jour, elle se réveille avec une ombre de garçon.

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Une ombre de garçon dont elle n’arrive pas à se débarrasser et qui va finir par la faire douter. Et si c’est l’ombre qui avait raison ? Si elle n’était qu’un garçon manqué ? Heureusement, une rencontre avec un petit garçon va lui permettre de comprendre qui elle est vraiment : « Julie-chipie, Julie-furie, Julie-Julie ». Et qu’être soi-même, quoiqu’en disent les autres, quels que soient les bocaux dans lesquels ils veulent nous enfermer, « on a le droit ».

 

Le texte est superbe, les illustrations en noir et blanc, avec quelques touches de rouge vif, magnifiques. Les touches de rouge étaient roses dans la première édition du Sourire qui mord. J’aime ce rouge vif qui ajoute du peps.

Cet album est complètement bouleversant quand il aborde le décalage entre ce qu’est Julie et ce que ses parents, attachés aux stéréotypes et à l’image d’une petite fille modèle, attendent d’elle. Et les dégâts que cela cause à leur fille.  « Julie ne sait plus qui elle est puisqu’elle devrait toujours faire comme quelqu’un d’autre pour être aimée. »

« On l’aime bien quand elle n’est pas coiffée comme Julie.

On l’aime bien quand elle s’assied mieux que Julie.

On l’ame bien quand elle parle moins que Julie.

Et c’est quand elle est « déguisée » en petite fille modèle, quand elle a perdu son sourire espiègle que sa mère s’exclame « je te reconnais, maintenant ».

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Ici, les adultes ne sont d’aucun secours. Ce sont les enfants, seuls, qui s’affirment tels qu’ils sont.

 

Histoire du livre et des éditions du Sourire qui mord :

En plus d’être un album magnifique, ce livre est le début d’un projet éditorial captivant. Au début des années 1970, Christian Bruel crée le collectif « pour un autre merveilleux » qui rassemble des intellectuels d’origines diverses : universitaires, journalistes, artistes, psychologues… Ils étudient la littérature jeunesse de l’époque, et s’intéressent en particulier à « la façon dont elle aborde les thèmes contemporains tels les statuts de la femme et de l’enfant, les représentations du monde du travail et des relations sociales entre individus ». Suite à cette réflexion est imprimé en 1975 l’Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon. Suite au succès de ce livre est créée une maison d’édition appelée Le sourire qui mord (c’est pas génial, comme nom ? ). Ce nom « fait référence à la volonté des éditeurs de dénoncer la mièvrerie ambiante de la littérature pour enfants alors en vigueur, au profit de livres dynamisant les rapports avec l’enfant et n’hésitant pas à aborder les sujets les plus subversifs. Elle transmet également une certaine idée de l’enfance qui, selon Christian Bruel, « n’est pas rose ; et derrière le sourire, se cachent [souvent] les dents… » ». Christian Bruel insiste sur le fait que l’enfant n’est pas inférieur à l’adulte, qu’il n’a pas besoin de protection mais d’ouverture sur le monde, afin d’affronter celui-ci. Les livres ne sont pas uniquement destinés aux enfants mais à tout lecteur intéressé, car chacun peut « quel que soit son âge, y trouver matière à rêver, à penser, à changer son rapport à l’autre »

Chaque album est conçu au sein d’un groupe de plusieurs auteurs et illustrateurs et donc issu d’un travail collectif où chaque individu apporte son expérience. Les projets élaborés sont ensuite montrés à des enfants. Il s’agit de « tester » les livres auprès de leur public sans pour autant se conformer strictement aux remarques des enfants, afin de ne pas tomber dans la facilité et de continuer à éveiller un questionnement chez eux. (les informations sur les éditions du Sourire qui mord sont issues de ce passionnant mémoire, Les albums pour enfants des maisons d’édition Des femmes et Le Sourire qui mord).

Les éditions du Sourire qui mord publieront 79 livres en 20 ans. Deux ans après la fin de cette maison d’édition, Christian Bruel crée les éditions Etre, où il réédite certains titres des éditions du Sourire qui mord, en particulier l’Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon en 2009. Mais l’activité de cette maison d’édition est également suspendue. Depuis 2012, les éditions Thierry Magnier ont réédité certains titres du Sourire qui mord. L’histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, donc, parue le 10 septembre 2014, mais aussi l’heure des parents qui présente toute la variété des familles existantes, y compris des familles homoparentales ou monoparentales, ce que mangent les maîtresseles chatouilles (fortement attaqué par l’extrême droite qui y voit une promotion de la sexualité infantile voire de la pédophilie) ou encore un jour de lessive (magnifique éloge de l’imaginaire que j’ai présenté ici).

Ce livre date de 1975 et pourtant, il est particulièrement d’actualité en ce moment. Il continue à faire réfléchir, à remuer. Il continue aussi à choquer. Voilà comment on l’a retrouvé il y a quelques mois à la bibliothèque :

IMG_1875

Autres ressources sur ce livre : 

Il y a bien sûr la chronique de la mare aux mots, déjà citée, publiée aujourd’hui même. Et celle de Maman Baobab qui participe à cette chronique croisée.

La présentation par Christian Bruel au moment de sa réédition chez Etre.

Il y a cette vidéo du site cligne-cligne qui montre des images de l’édition originale.

On en parle aussi sur Lu cie & CoAltersexualité, d’une berge à l’autre, le blog du magazine Citrouille, une page lue chaque soir, le carré jaune

Profitez de cette réédition pour le découvrir !

Les liens de la semaine (9 mars 2014)

Une fois par semaine (dans la mesure du possible), je vous donnerai des liens vers des articles que j’ai trouvé intéressants. Il s’agira d’articles parus pendant la semaine ou d’articles plus anciens, mais que j’ai découvert cette semaine au hasard de mes pérégrinations sur internet ou que des gentils lecteurs du blog m’ont conseillé.

Cette semaine :

– Une émission de radio, l’humeur vagabonde sur France Inter, consacrée à la polémique autour de Tous à poils ! avec Thierry Magnier (éditeur) et Christophe Honoré (auteur) qu’on peut réécouter ici et qui a le mérite de donner aussi la parole aux enfants (grâce à Chlop).

–  Un article de libération :  « Livres pour enfants : les stéréotypes n’ont jamais été aussi présents » qui donne la parole à Mariotte Pullman, l’auteur de l’inconvénient d’être féministe en librairie jeunesse (qu’on retrouve dans Analyse des représentations genrées) et à Clémentine Beauvais (son blog) dont je parlais déjà la semaine dernière.

– Un autre article de libération intéressant, même si plus ancien, qui aborde en particulier la presse pour petites filles.

– Une pétition en Angleterre intitulée Lets Books be books qui lutte contre les livres « pour filles » et « pour garçons » et un article qui en parle (liens en anglais) (grâce au cabas de Za).

– Une analyse du personnage de la fée Morgane dans les légendes arthuriennes.

– On s’éloigne de la littérature jeunesse, et même de la littérature tout court, mais j’avais aussi envie de citer ce tumblr « et sinon, je fais de la politique » où des femmes politiques rapportent les réflexions qu’on leur a faites, et aussi de vous conseiller le documentaire « la dernière vague du féminisme ? » qui résume l’essentiel des combats passés et des combats actuels des féministes, et présente différents mouvements (alors bien sur en 52 minutes tout n’est pas traité, mais c’est intéressant pour une première approche du sujet).