Lorsqu’on lit les contes traditionnels, la caractéristique de la princesse qui saute immédiatement aux yeux est sa beauté. C’est même très souvent son unique caractéristique. Nous allons donc commencer, aujourd’hui, par décrire les caractéristiques de cette beauté avant de voir, demain, si certains auteurs contemporains remettent en question ce stéréotype des contes de fées.
« la reine donna le jour à une petite fille si jolie que le roi fut rempli de joie » (Wilhem et Jacob Grimm, La belle au bois dormant in Le roi Grenouille et autres contes. Livre de poche jeunesse, 1984.)
« Raiponce était une fillette, et la plus belle qui fut sous le soleil » (Wilhem et Jacob Grimm, Raiponce. Grasset Jeunesse, 1984.)
« Il était une fois un roi qui avait douze filles, toutes plus belles les unes que les autres. » (Jane Rey d’après les frères Grimm, les douze princesses. Gautier-Languereau, 1996).
On le retrouve aussi en images :












Le grand livre des princes, princesses et grenouilles (Albin Michel Jeunesse, 2003) / Jane Rey d’après les frères Grimm, les douze princesses (Gautier-Languereau, 1996) / D’après les frères Grimm, illustré par Kinuko Y. Craft, la belle au bois dormant (Minedition, 2014) / D’après les frères Grimm, illustré par Sophie Lebot, Blanche-Neige (Lito, 2012) / Margaret Hodges et Trina Schart Hyman, Saint-Georges et le dragon (Le Genevrier, 2014) / Histoires de princesses à lire avec ma petite fille (Fleurus, 2014) / Charles Perrault et Claire de Gastold, Cendrillon ou la petite pantoufle de verre (Gallimard Jeunesse, 2015) / Sarah Gibbs, Raiponce (Gallimard Jeunesse, 2010) / Frères Grimm, Princesse Camcam, la belle au bois dormant (Père Castor-Flammarion, 2011) / Tristan Pichard et Daphné Hong, la princesse qui dit non ! (Milan Jeunesse, 2014) / Stéphanie Ledu et Lucie Brunellière, Les princesses (Milan, 2007) / D’après Charles Perrault, Anne Royer et Candy Bird, Cendrillon (Lito, 2014) / Sarah Gibb, la belle au bois dormant (Gallimard Jeunesse, 2015).
Toutes ses princesses sont minces voire excessivement minces, ont les traits fins, portent des robes luxueuses, de cheveux longs (Raiponce en est l’exemple extrême), des bijoux, parfois une couronne. On note que si ces stéréotypes sont traditionnels dans le sens où ils existent depuis longtemps, de nombreux livres continuent à les reproduire : beaucoup des illustrations présentées ci-dessus ont été publiées ces dernières années.
La beauté des princesses est également liée à la délicatesse, voire une certaine fragilité. Le meilleur exemple est bien sûr la princesse au petit pois où une « véritable » princesse ne peut qu’être gênée par la présence du petit pois sous dix matelas et dix édredons.
« Il faut souligner le lien entre beauté et richesse (…) : une femme n’est pas belle si elle ne porte pas de vêtements magnifiques » (source : Ninon Jude, L’évolution du stéréotype princesse dans la littérature de jeunesse). En effet, la richesse et la magnificence des tenues participe à la beauté de la princesse. Ainsi, au XVIIe siècle, Mme d’Aulnoy décrit avec force détails les robes et les bijoux de ses héroïnes. Un exemple extrait de la princesse printanière :
« la fée habilla Printanière d’une robe de brocard d’or et vert, semée de rubis et de perles; elle noua ses beaux cheveux blonds avec des cordons de diamants et d’émeraudes: elle la couronna de fleurs; et la faisant monter dans son chariot, toutes les étoiles qui la virent passer crurent que c’était l’Aurore, qui ne s’était pas encore retirée ; et elles lui disaient en passant: «Bonjour l’Aurore.» » (source).
Ou encore dans la belle aux cheveux d’or :
« Il y avait une fois la fille d’un roi qui était si belle, qu’il n’y avait rien de si beau au monde. On la nommait la Belle aux Cheveux d’Or car ses cheveux étaient plus fins que de l’or, et blonds par merveille, tout frisés, qui lui tombaient jusque sur les pieds. Elle allait toujours couverte de ses cheveux bouclés, avec une couronne de fleurs sur la tête et des habits brochés de diamants et de perles, si bien qu’on ne pouvait la voir sans l’aimer. »
Mais on retrouve l’idée que pour être une vraie princesse, il faut être habillée richement dans la plupart des contes, et même dans des textes plus parodiques. Dans Même les princesses doivent aller à l’école de Susie Morgenstern (l’école des loisirs, 1992) :
« Personne d’autre n’avait une longue robe flottante à traîne ornée de volants de mousseline. Personne d’autre ne portait une crinoline qui gonflait la jupe aux proportions d’un demi-ballon. Personne n’avait de manches en dentelle, garnies de rubans. Non, elle ne savait pas que, pour ces êtres en toile de jean et en velours côtelé, ses tulles, ses broderies, ses souliers en soie appartenaient à un livre d’histoire du XVIIIe siècle ou à un musée de la mode ou à un bal costumé, mais pour Alystère, c’était entièrement, complètement et totalement normal, car elle était, après tout, une princesse ».
On trouve donc régulièrement, dans les contes, des scènes d’habillage, de transformation, afin que les princesses deviennent aussi belles qu’elles doivent l’être.

On trouve ainsi dans les douze princesses (Jane Rey d’après les frères Grimm, les douze princesses, Gautier-Languereau, 1996) cette scène de préparatifs :
« Ouvrant placards et armoires, elles se vêtirent de lin, de dentelle et de soie brodée, de riche velours et de brocart. S’aidant les unes les autres, elles bouclèrent ou tressèrent leurs cheveux, mirent du rouge à leurs lèvres, se poudrèrent, prirent leurs éventails et chaussèrent leurs souliers neufs. »
Ces transformations sont parfois magiques.
« La fée dit alors à Cendrillon : Hé bien, voilà de quoi aller au Bal, n’es-tu pas bien aise ?
Oui, mais est-ce que j’irai comme cela avec mes vilains habits? Sa Marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même temps ses habits furent changés en des habits de drap d’or et d’argent tout chamarrés de pierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. »
Cendrillon par Perrault
Et ces préparatifs ne sont pas juste « décoratifs ». Ils sont nécessaires pour que la princesse soit reconnue comme telle. En effet, c’est lorsqu’elle est luxueusement vêtue que le prince tombe amoureux d’elle et la voit comme une princesse.
Dans Peau d’âne :
Un jour le jeune Prince errant à l’aventure
De basse-cour en basse-cour,
Passa dans une allée obscure
Où de Peau d’Âne était l’humble séjour.
Par hasard il mit l’œil au trou de la serrure.
Comme il était fête ce jour,
Elle avait pris une riche parure
Et ses superbes vêtements
Qui, tissus de fin or et de gros diamants,
Égalaient du Soleil la clarté la plus pure.
Le Prince au gré de son désir
La contemple et ne peut qu’à peine,
En la voyant, reprendre haleine,
Tant il est comblé de plaisir.
Quels que soient les habits, la beauté du visage,
Son beau tour, sa vive blancheur,
Ses traits fins, sa jeune fraîcheur
Le touchent cent fois davantage ;
Mais un certain air de grandeur,
Plus encore une sage et modeste pudeur,
Des beautés de son âme assuré témoignage,
S’emparèrent de tout son cœur.
Ou dans Cendrillon :
Le fils du roi, qu’on alla avertir qu’il venait d’arriver une grande princesse qu’on ne connaissait point, courut la recevoir ; il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence, on cessa de danser et les violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler les grandes beautés de cette inconnue. On n’entendait qu’un bruit confus : « Ah, qu’elle est belle ! » Le roi même, tout vieux qu’il était, ne laissait pas de la regarder, et de dire tout bas à la reine qu’il y avait longtemps qu’il n’avait vu une si belle et si aimable personne.
Et dans ce conte, ce n’est qu’à la condition qu’elle mette la pantoufle de verre (ou vair), objet précieux, que le prince la reconnaît et l’épouse.Dans Peau d’âne, c’est un anneau d’or qui sert de moyen de reconnaissance.
Dans Saint-Georges et le dragon (par Margaret Hodges et Trina Schart Hyman, Le Genevrier, 2014), la princesse accompagne le chevalier tout au long de sa quête, mais ce n’est qu’à la fin que son coeur fond de tendresse lorsqu’il la voit habillée avec luxe : « Una s’avança. Elle avait quitté son voile et son mantelet noir, elle était vêtue d’une robe blanche comme neige aux reflets argentés. Le chevalier ne l’avait jamais vue aussi ravissante. En contemplant l’éclat rayonnant de son visage, il sentit son coeur fondre de tendresse ».
Mais le regard du prince seul ne suffit pas, elle doit également être reconnue comme princesse par la cour. Cela explique l’importance du bal, où la princesse se fait admirer par tous, et où elle est reconnue comme princesse si ce n’était pas le cas jusque là. On le voit par exemple dans Peau d’âne ici illustré par Jean Claverie (Albin Michel Jeunesse, 2012) :

La beauté de la princesse attire le regard du prince. Mais elle peut aussi lui poser bien des ennuis ! C’est le cas de Blanche-Neige dont la beauté rend jalouse et furieuse sa belle-mère, ou de Peau d’âne, qui doit fuir le désir incestueux de son père.
« Dans tous les cas, c’est l’équation « jeune-fille = beauté = désir » qui est à l’origine de tous ses problèmes, de ses aventures, de sa trajectoire. » dit Pierre Péju.
Elle est en tout cas ce qui scellera son destin.