Cathy Ytak

Parler d’égalité filles/garçons avec des CM2

J’ai eu l’occasion récemment d’intervenir dans deux classes de CM2 pour parler d’égalité filles garçons. Et j’ai eu envie de vous parler un peu de mon intervention, même si c’était une première expérience et qu’elle est largement perfectible.

J’avais demandé qu’une instit demande aux élèves de sa classe, de me dessiner « une fille et un garçon », sans plus de consigne que ça. Le but c’était de partir de leurs représentations (et j’en ai tiré plein d’enseignements).

On a démarré de deux façons différentes. Dans la première classe, je leur ai proposé d’écrire dans deux colonnes ce qui d’après eux était « pour les garçons » ou « pour les filles ». Quelques uns ont lu ce qu’ils avaient noté. Cela concernait essentiellement les tenues vestimentaires et les métiers. Ensuite, j’ai demandé : « est-ce que vous pensez que les filles peuvent faire tout ce qui est dans la colonnes « pour les garçons » et inversement ? On m’a dit oui pour presque tout. Sauf pour « porter une robe » pour les garçons et certains métiers physiques pour les filles (maçon, bucheron, forgeron).

Dans la seconde classe, je leur ai proposé certains dessins et leur ai demandé : est-ce qu’on reconnait tout de suite qui sont les filles et qui sont les garçons. Est-ce qu’on le voit du premier coup d’œil ? Comment ?

Le rose, les cheveux longs, les robes pour les filles, les couleurs plus sombres, les cheveux courts, la barbe pour les garçons.

 

J’ai ensuite demandé s’ils pensaient que ces différences étaient naturelles. Et s’ils pouvaient me donner des exemples de différences naturelles entre les hommes et les femmes. Dans une des classes, un des élèves m’a répondu que les garçons avaient les cheveux courts et les filles les cheveux longs. On a donné des contre exemples.

Et on en est venus aux différences biologiques entre les hommes et les femmes. Quelles sont elles ? Dans la première classe une fille m’a immédiatement donné l’exemple des règles, et tout a été dit naturellement. Cependant, s’ils connaissaient le mot « pénis », le mot « vulve » leur était inconnu. Dans la seconde classe, il y a eu d’abord une grosse réserve pour parler du corps. Quand j’ai demandé ce qu’avaient les femmes que les hommes n’avaient pas, une gamine a montré sa poitrine sans oser prononcer le mot « seins ». Alors que je parlais de ça, un gamin ricanait, et son copain le reprenait en disant « mais c’est pas drôle !! ». Je suis alors intervenue en disant que parfois on riait pour cacher sa gène et que ça ne me posait pas de problème que quelqu’un rie tant que ce n’était pas de la moquerie. Un garçon a dit le mot pénis. Quand j’ai demandé s’ils savaient comment s’appelait le sexe de la femme, le premier mot qui a été dit, c’est « la fleur ». Puis une des filles m’a répondu « l’utérus ». J’ai donc expliqué que l’utérus était une petite poche à l’intérieur, où un bébé pouvait se développer si la femme le voulait, et que le passage qui le reliait à l’extérieur s’appelait le vagin. A ce moment là, une petite fille a osé dire le mot vulve. C’était important à mes yeux de leur donner ce vocabulaire, des mots qui ne soient ni enfantins (zizi, zezette) ni vulgaires.

Tout ça pour arriver aux notions de sexe et de genre, même si je n’ai pas utilisé les mots :

Capture d’écran 2019-02-19 à 13.24.26Sur comment distinguer les unes des autres, j’ai expliqué qu’on pouvait regarder si c’était des différences qu’on retrouvait toujours et partout ou si c’était seulement maintenant. Je suis partie de la question de la robe/jupe et utilisé cette double page du magnifique Costumes de Joelle Jolivet (Les grandes personnes, 2013) pour expliquer que ce n’était pas depuis toujours et partout que la robe était reservée aux filles.

costumes jollivet

L’exemple de Jules César, figure connue des enfants, qui portait des jupes et était non seulement militaire mais général les a beaucoup marqué.

 

On a continué, avec la 2e classe, avec ce tableau des enfants Habert de Montmor, par Philippe de Champaigne, au milieu du XVIIe siècle, avec cette question toute simple : à votre avis, combien y’a-t-il de filles, combien y’a-t-il de garçons ?

enfants bleu:rose

La réponse fait beaucoup moins l’unanimité parmi les élèves que dans les dessins du début ! L’occasion de montrer que les codes évoluent, que contrairement à aujourd’hui, les petits garçons portent des robes et qu’on les habille en rose ! (pour info, il n’y a qu’une fille, au centre, les autres sont des garçons).

On a alors pu aborder la question des stéréotypes. On les a comparé à des cases dont la société ne voulait pas qu’on sorte.

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(la définition vient de la ligue des super féministes de Mirion Malle). Je leur ai demandé d’autres exemples. J’ai eu le garçon qui fait de l’équitation même si on lui dit que c’est un sport de filles. Un groupe de footballeuses dans la deuxième classe.

 

Je leur ai ensuite posé la question : en quoi les stéréotypes sont embêtants ?

– les moqueries sont abordées immédiatement. Nous parlons aussi de harcèlement.

– je leur parle aussi d’autocensure. De la difficulté de se projeter hors des cases quand on manque de modèles. Une des classes venait de lire le chouette garçon rose malabar de Claudine Aubrun (Syros, 2018), où le héros rêve de devenir sage-femme : lui a un modèle (un ami de ses parents fait ce métier), mais même comme ça, c’est compliqué d’assumer un choix à contre-courant !

Bien sûr, je suis bien décidée à leur lire des albums ! Je leur lis donc, pour « conclure » cette première partie, Ni poupées ni super-héros de Delphine Beauvois et Claire Cantais (la ville brûle, 2015) dont j’avais parlé ici.

ni poupée ni super héros

Dans une des classes, un garçon m’interroge sur cette page :

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L’occasion d’aborder (très rapidement) la question du consentement, d’insister sur le fait que le non de l’autre doit TOUJOURS être entendu et respecté.

Dans une des classes, j’ai modifié un peu ma présentation parce que l’instit avait déjà parlé un peu des stéréotypes, donc j’ai pu passer plus vite sur certaines parties, mais n’avait pas abordé le m’a demandé si je pouvais aborder le fait qu’on peut aimer qui on veut, parler aussi d’homosexualité. J’ai donc choisi de lire le très bel album de Cathy Ytak et Daniela Tieni, ça change tout (l’atelier du poisson soluble, 2017) dont j’ai un peu parlé ici. Etre amoureux, ça change tout. Que ce soit d’un garçon ou d’une fille, ça ne change rien.

ça change tout

 

Mais même si cette première partie sur l’importance de pouvoir se détacher des stéréotypes, que l’on soit une fille ou un garçon, est très importante, je n’en voulais pas m’arrêter à l’idée que cela pesait autant sur les garçons que sur les filles. Parce que non, les stéréotypes ne touchent pas les hommes et les femmes de la même façon dans notre société. Parce que oui, on vit dans une société inégalitaire et patriarcale (non, je ne leur ai pas dit comme ça ^^).

Dans la seconde classe, j’ai alors lu A calicochon d’Anthony Browne (Kaléidoscope, 2010, 1e édition 1987).

a calicochon

Dans cette famille, la mère s’occupe de l’intégralité des tâches ménagères pendant que son mari et ses fils glandent sur le canapé. Jusqu’au jour où elle en a marre et se casse en leur laissant ce mot « vous êtes des cochons ».

Ce livre a déclenché, comme à peu près à chaque lecture, beaucoup de réactions. Et comme à chaque fois, des gamins m’ont dit « oui moi c’est comme ça chez moi ». Ou « moi mon père il aide un peu ». D’autres au contraire soulignent qu’ils aident leur mère. Une petite fille en garde alternée soulignait que du coup son père faisait la même chose que sa mère. Un autre enfant racontait que chez lui, c’était sa mère qui rentrait tard du travail donc son père qui s’occupait des tâches ménagères.

J’ai donc dit que la répartition dépendait des familles, et dépendait de beaucoup de critères. Mais je suis revenue aux études de l’INSEE et j’ai rappelé qu’en moyenne, les femmes font 3h26 de tâches ménagères (ménage, cuisine, bricolage, courses, lessive, s’occuper des enfants) par jour, les hommes 2h. Donc elles ont moins de temps libre que les hommes pour les loisirs. 

Sautant du coq à l’âne, je leur ai demandé de me citer des présidents de la république française. Les mômes ont tout de suite vu où je voulais en venir : que des hommes. Et si on revient à l’échelon plus local… 16% des maires sont des femmes (mais c’était le cas dans les deux communes où je suis intervenue ^^). Je leur ai rappelé que le droit de votes des femmes, c’était en 1944 (un enfant connaissait la date !). Et que donc mon arrière-grand-mère accompagnait mon arrière-grand-père mais n’avait pas le droit de voter.

Troisième exemple utilisé pour montrer les inégalités hommes/femmes : la cour de récré.  Avec cette image (source) :cour de récré

Et la question : est-ce que c’est comme ça dans votre école ? Dans la première classe, l’instit, qui est aussi la directrice de l’école, explique que c’est pour ça que le foot est interdit pendant les récrés, afin de mieux partager l’espace. Bien sûr, le « mais les filles sont nulles c’est pour ça qu’elles ont pas le droit de jouer/qu’elles sont dans les cages » arrive vite. On discute, on parle de l’opportunité de s’exercer, de s’entrainer, qui permet de progresser et de mieux jouer. On parle aussi de la notion de sport d’équipe et de l’importance du jouer ensemble, au lieu de la valorisation du niveau individuel. On parle du club de foot voisin où les filles sont apparemment nombreuses mais où les entrainements ne sont pas mixtes.

De ces trois exemples, on tire la notion d’inégalité entre les hommes et les femmes. Et de la nécessité de la combattre. Et on en arrive au féminisme.

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Et je suis drôlement contente d’en être arrivée là !

 

Je me suis ensuite attaquée plus frontalement à mon sujet de prédilection : la question de la représentation.

J’avais prévu de débuter avec ce slide sur les personnages de contes et leur représentation, mais on est passé dessus beaucoup plus rapidement que ce que je pensais.

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Finalement, cet extrait de la ligue des super féministes de Mirion Malle (la ville brûle, 2019) a été plus parlant. fullsizeoutput_5d4f

Je me suis aussi appuyé sur ce livre pour parler des représentations (tout ce bouquin est très bien et cette double page est à la fois précise et accessible c’est un super boulot) :

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Et expliqué que des chercheurs, des sociologues avaient montré que les représentations avaient un impact. On a pris l’exemple d’une petite fille qui veut devenir scientifique. Quel impact si les livres, les séries ne montrent que des hommes, que les scientifiques interviewés à la télé où dans les journaux sont des hommes, que les scientifiques dont elle entend parler à l’école ne sont que des hommes ?

Il était important pour moi de ne pas être culpabilisante ou jugeante sur les choix des enfants. J’ai donc insisté grâce à cette image sur la liberté de choisir ce qu’on aime, de lire et de regarder des choses même si on a conscience que c’est stéréotypé. Que je n’étais certainement pas là pour dire aux filles de ne plus lire de livres « pour filles » et aux garçons de ne plus lire de livres « pour garçon », juste de réfléchir sur ce qu’on lit et peut être essayer d’apporter un peu plus de diversité.

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Cela donne aussi la possibilité de détourner les stéréotypes, d’en rire (j’avais à ce moment là prévu de lire la pire des princesses d’Anna Kempt et Sara Ogilvie (Milan, 2013) et parler du détournement des contes traditionnels, mais je n’ai pas pu récupérer le bouquin à temps…).

Je voulais aussi parler un peu de la notion de marketing genré. Pour cela, on est parti des collections « bibliothèque rose » et « bibliothèque verte » dont j’avais déjà parlé ici.

Image 3

Ceux qui fabriquent les livres différencient donc les livres « pour filles » et « pour garçons ». On a parlé des thèmes, des couleurs, mais aussi des positions des personnages  : les garçons sont dans l’action alors que les filles posent. Le but là encore : avoir consciences des cases, rappeler qu’on n’est jamais obligé d’y rester.

Je soulève ensuite la question des modèles, en partant de documentaires et d’une question simple : combien y’a-t-il, à votre avis, d’homme et de femmes dans chacun de ces livres ?

(respectivement 4 femmes sur 50, 16 femmes sur 100, 7 femmes sur 40 et 6 femmes sur 40)

Pourquoi c’est embêtant ?

Je reprends l’exemple de la petite fille qui voudrait être scientifique. Une gamine s’écrit alors : « mais il y a des femmes scientifiques, aussi ! » Moi : « bien sûr, est-ce que vous pouvez m’en citer ? » Tous ont cité Marie Curie. Mais personne n’a su donner d’autre noms. Je leur ai alors montré les dépliants de Maman rodarde (que vous connaissez tous, j’imagine, sinon il faut vite les découvrir !), en leur disant qu’ils allaient pouvoir en découvrir plein d’autres. J’ai regretté de ne pas avoir prévu la chouette affiche d’Elise Gravel sur le sujet.

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J’ai souligné l’importance de la diversité des modèles, pour que chacun puisse se projeter dans les livres, mais aussi découvrir des personnages et des fonctionnements différents de ceux qu’il voit au quotidien. Parlé de l’importance de voir des femmes, mais aussi des personnages racisés, des personnages handicapés, etc, dans toutes les situations.

J’ai dit qu’heureusement, il y avait une prise de conscience sur cette question ces dernières années.

Ils-et-elles-ont-change-le-monde

Certains ont fait le choix d’un livre présentant autant de femmes que d’hommes, et prenant soin de visibiliser les femmes dès la couverture.

D’autres ont fait le choix, pour rééquilibrer, de faire des livres avec que des femmes (j’en ai pris 3 un peu au hasard, mais je vous prépare une présentation de ces bouquins de portraits de femmes).

Je leur ai pour finir distribué une petite bibliographie que vous pourrez retrouver ici 

 

Et j’ai fini par une lecture, un de mes albums préférés, la fée sorcière de Brigitte Minne et Carll Cneut (il en existe deux éditions différentes, là j’avais la première (Pastel, 2000), mais je vous mets aussi la seconde (école des loisirs, 2017) déjà parce qu’elle est sublime même si la couverture est moins parlante, et parce que c’est l’édition qui est actuellement disponible).

 

J’ai ensuite affiché ces trois affiches d’Elise Gravel.

Et les enfants ont eu un temps libre pour regarder ces affiches, les livres de la bibliographie que j’avais apportés, les dépliants antisexistes de Maman Rodarde (les filles et les garçons) qui avaient été imprimés, discuter. Cela permettait des échanges moins formels. Dans une des classes, cela s’est fait entre eux, la plupart des enfants se sont plongés dans des bouquins. Dans l’autre, par contre, ça a été un moment de discussion à partir des dépliants. Ils ont commencé par chercher les photos de femmes à la tête rasée, parce que nous avions abordé le sujet des cheveux en début de séance, puis se sont emparés de l’ensemble des dépliants. Ça a été l’occasion de définir les mots « homosexuel », « bisexuel », « trans » et nous avons pas mal parlé de transidentité. C’est intéressant de voir que les seules images qui ont provoqué des réactions horrifiées des filles comme des garçons, ce sont les femmes avec des poils. D’ailleurs, en début de séance, lorsque j’ai parlé de différences biologiques, les poils ont été présentés comme masculins et j’avais déjà rappelé que les femmes aussi en avaient et que l’épilation était bien une pratique culturelle.

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Voilà, j’espère que ce n’est pas trop brouillon, je pensais au départ juste présenter le PPT utilisé mais je me suis rendu compte que ça n’avait pas de sens sans les commentaires, sans les réactions des enfants. Et puis même si j’avais beaucoup préparé ces interventions, je tenais aussi à laisser de l’espace pour des échanges plus libres, pour laisser dévier la conversation. On a entre autres, suite à des questions, parlé de Malala, du match de rugby féminin passé la veille à la télé, etc. Si le power point vous intéresse, n’hésitez pas à me le demander !

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Homosexualité dans les albums jeunesse, partie 2

Comme je le disais à propos du fils des géants de Gael Aymon, plusieurs auteur·e·s utilisent l’univers bien connu des contes de fées pour mettre en scène des couples homosexuels. Ici, il n’est plus question d’homoparentalité, mais d’histoire d’amour naissantes, de rencontres. Un détournement du coup de foudre de la princesse et du prince charmant que l’on trouve si souvent (ça me fait penser que je n’ai toujours pas publié l’article sur le coup de foudre de la princesse et du prince charmant, pourtant il y a énormément à dire d’un point de vue féministe !).

Commençons donc avec des princesses lesbiennes !

Cela a commencé dès Camelia et Capucine d’Adela Turin et Nella Bosnia (Actes Sud Junior, 2000, épuisé), auteures de rose bombonne aux éditions des femmes en 1975.

camélia et Capucine

Je ne l’ai malheureusement pas trouvé, donc je ne peux vous en donner que le résumé de l’éditeur : « Camélia passe le plus clair de son temps chez Capucine, une amie qui lui apprend la musique, des recettes savoureuses ou l’art d’interpréter les rêves. Depuis sa plus tendre enfance, Camélia est promise à un prince, riche et beau. Quand il la demande en mariage, son arrogance déplaît à Camélia, qui se débarrasse de sa bague de fiançailles. Ses parents mettent le château sens dessus dessous pour la retrouver. En vain. Capucine prend alors un malin plaisir, en interprétant les rêves du roi, à bouleverser tout le château. Scandalisé, le prince prend la fuite. Au grand soulagement de Camélia et de Capucine qui, depuis, coulent ensemble des jours heureux. »

Dans Cristelle et Crioline de Muriel Douru (KTM, 2011), la princesse Cristelle doit se marier. Mais elle n’est guère intéressée par le « crapaud charmant » ! Elle tombe amoureuse d’une petite grenouille, Crioline, et contrairement à ses craintes, son père le roi est ouvert d’esprit et les marie.

Cristelle et Crioline

Ce livre est publié par KTM, un éditeur spécialisé dans les romans lesbiens pour adulte et qui a publié seulement cet album pour la jeunesse. Si je trouve le texte sympa, je dois avouer que je trouve les illustrations sans intérêt.

Dans la princesse qui n’aimait pas les princes d’Alice Brière-Haquet et Lionel Larchevêque (Actes Sud Junior, 2010), on retrouve la princesse comme on l’imagine : blonde, en robe rose… et bien sûr, elle doit se marier ! Alors son père, le roi, fait défiler tous les prétendants afin qu’elle se décide, les princes du monde entier, et même « des super héros aux capes belles comme des drapeaux, et quelques très savants sorciers bien calés sur leurs balais. Il y avait aussi : de géniaux scientifiques aux mille inventions fantastiques, et de grands champions du monde, de foot, de course ou d’aviron ». Mais aucun ne lui convient.

princesse qui n'aimait pas les princes

Il fait alors appel à une fée pour dénouer la situation et là… le coup de foudre : « En une seconde, elle comprit que c’était Elle. En deux secondes, elle montait derrière sa selle. En trois secondes, elles galopaient sous le grand ciel ».

princesse qui n'aimait pas les princes 1

Un livre que j’aime beaucoup ! Et signalons au passage que la fée est noire, ce qui est particulièrement rare, dans les albums jeunesse en général, déjà, et dans les albums sur ce sujet en particulier, à croire que les LGBT sont tous blancs (ou alors des animaux !). Et qu’il ne tait pas les difficultés auxquelles les couples de même sexe doivent faire face dans notre société (même si la question du mariage a évolué depuis la sortie du livre), puisqu’il s’achève ainsi : « Elles ne purent pas vraiment se marier, et pour faire des bébés, ce fut un peu plus compliqué… mais toutes les deux, elles vécurent heureuses. Et c’est ainsi que doit s’achever tout véritable conte de fées. »

Heu-reux de Christian Voltz (Rouergue, 2016), reprend le même scénario, sauf que cette fois c’est le prince qui doit se choisir une épouse dans la foule de prétendantes que son père fait défiler devant lui. A tel point que j’ai eu une impression de quasi plagiat un peu désagréable à la première lecture. Mais en le relisant, et en le lisant à voix haute, j’ai aussi vu à quel point ce livre était un régal à lire et tout l’humour qu’on y trouve.

heureux voltz

Ici, le père s’affirme résolument moderne. Il veut que son fils soit « heureux ! ». Alors s’il doit renoncer à que son fils épouse une vache, il est suffisamment ouvert d’esprit pour que son fils épouse une chèvre. Ou une truie. Oh puis après tout, il peut épouser qui il veut. ça tombe bien, le prince est amoureux d’Hubert le Bélier !

heureux voltz

Les illustrations de Christian Voltz sont chouettes et pleines de détails et d’humour. Le détournement du défilé des prétendantes fonctionne très bien. Chlopitille en parle .

Dans Titiritesse de Xerardo Quintia et Maurizio A. C. Quarello (OQO, 2008), la princesse Titiritesse fuit sa mère qui veut qu’elle se comporte « comme une princesse » et la préceptrice qui vient lui enseigner les bonnes manières. Avec l’aide de l’âne Buffalet, elle va délivrer Wendoline du monstre Avalesix Duncoup.

titiritesse

Au moment où elles se rencontrent, « une brise joueuse se souleva alors et leur fit des chatouillis dans la tête ».

Un album vraiment original, autant par ses illustrations que par son histoire : si on retrouve de nombreux éléments détournés du conte de fée traditionnel, l’album nous entraine ensuite dans un voyage onirique très particulier, où les princesses découvriront un « mot pour rire », Trukulutru !

 

 

Amour entre enfants

Certains livres pour enfants se placent dans un univers beaucoup plus réaliste et racontent des histoires d’amour, comme peuvent les vivre les enfants. Avec des réactions d’adultes plus ou moins bienveillantes…

J’avais déjà parlé ici de la BD Bichon de David Gilson (Glénat, 2013). Depuis, les volumes 2 et 3 sont sortis (en 2015 et 2017).

 

Dans Philomène m’aime de Jean-Christophe Mazurie (P’tit Glénat, 2011), tous les garçons sont amoureux de Philomène.

philomène m'aime

Quand elle passe en vélo, tout s’arrête. Mais les garçons sur son chemin l’indifférent car elle est amoureuse de Lili.

 

Jérôme par coeur de Thomas Scotto et Olivier Tallec a été publié chez Actes Sud en 2009 et est disponible actuellement dans leur collection « poche » encore une fois.

jérome par coeur

Et c’est un petit bijou.

« Raphael aime Jérôme, je le dis. Très facile ». Raphael aime Jérôme parce qu’il lui tient toujours la main, très accroché, pour le 100% coton de son sourire et parce qu’il raconte des mensonges qui ressemblent à de vraies histoires. Le soir, il fait « des provisions de lui pour la nuit ». Et parfois il en rêve, même. Mais la façon dont il parle de Jérôme ne plait pas à ses parents. Alors forcément, Raphael s’interroge. Mais la force de ses sentiments est là.

Le quotidien des enfants, la force de leur amour, la délicatesse des illustrations d’Olivier Tallec qui répond à celle des mots de Thomas Scotto… Ce livre est un gros coup de coeur.

 

Deux garçons et un secret d’Andrée Poulin et Marie Lafrance (éditions de la Bagnole, 2016), qui nous vient du Québec mais est également distribué en France, nous présente aussi deux petits garçons qui s’aiment et les réactions de leurs parents.

deux garçons et un secret

Emile et Mathis sont les meilleurs amis du monde. Un jour, Emile trouve une bague dans le bac à sable du square. Et ça lui donne une idée : ils vont se marier ! Comme ça, quand ils seront grand, ils habiteront ensemble et Emile pourra emprunter à Mathis son camion de pompiers. Alors avec leurs amis, ils préparent un beau mariage.

deux garçons et un secret mariage

Mais quand Emile le raconte à ses parents, le soir, son père affirme qu' »un gars ne se marie pas avec un gars. Ça ne se fait pas » et lui interdit de garder la bague. Les parents de Mathis, eux, le soutiennent. « Lorsque la maman de Mathis le borde dans son lit, elle lui dit : Quand tu seras grand, si Emile et toi, vous vous aimez encore, vous pourrez vous marier pour de vrai. » Alors Emile et Mathis décident de rester mariés en secret. Parce que « des fois, les parents se trompent, comme les enfants ».

L’illustratrice parle de son travail sur cet album ici.

 

Dans Boum boum et autres petits (grands) bruits de la vie de Catherine Lafaye Latteux et Mam’zelle Roüge (Frimousse, 2011, épuisé, réédité par Pourpenser en 2018), on entend les bruits de la vie.

Les bruits du coeur de Timothée qui pense à Fleur, et les « cling cling » que font les pièces quand ils vont au cinéma ensemble. Mais aussi le « snif snif » de José qui les voit, lui qui aime Timothée en secret.

Mais il va rencontrer un autre garçon, et leur amour fera les mêmes bruits de coeur qui bat, de moments partagés et de joie. « et tant pis si un jour cet amour fait GRAND bruit autour de lui ».

Enfin, un album que j’avais raté (mais il va falloir que je répare ça parce que vraiment il a l’air chouette), ça change tout ! de Cathy Ytak et Daniela Tieni (Atelier du poisson soluble, 2017).

ça change tout

Camille aime Baptiste. Alors Camille lui donne des poèmes sur des petits papiers. Et Baptiste lui répond avec des Bulles de savon.

Je n’ai pas pu voir le livre en dehors des extraits sur le site de l’éditeur, aussi je vous cite un extrait de sa critique par Gabriel sur la mare aux mots en vous encourageant vivement à aller voir son article où il propose des livres jeunesses LGBTQ+ (notons ici que Gabriel m’a beaucoup aidé pour cette série d’articles, en me donnant des références, en me prêtant des livres, etc) : « L’autrice joue avec la surprise (nos visions hétérocentrées penseront d’abord que Camille est une fille). On est loin ici des clichés et, contrairement à la plupart des livres sur le sujet, rien n’arrive de négatif aux deux héros de l’histoire. À noter que ici, et c’est tellement exceptionnel qu’il faut le signaler, on parle de bisexualité car les héros ont aussi été amoureux de filles. »

 

Voilà pour aujourd’hui, j’espère vous avoir donné envie avec tous ces chouettes albums. J’ai un troisième article en préparation pour compléter tout ça (en espérant le publier dans moins de 3 mois…) et parler de la banalisation de l’homoparentalité, de l’homophobie ou de la transidentité dans les albums jeunesse, et pour vous proposer quelques ressources supplémentaires.

Mary, Solange…

Mais aussi Sami, Joos, Monelle, Lili, Clémence.

J’ai publié récemment sur mon blog personnel, la licorne et ses bouquins, des articles sur deux romans ados/young adult qui auraient tout à fait pu être publiés sur ce blog.

Deux romans historiques où des jeunes femmes vont faire face à l’adversité, vont grandir, murir, s’affirmer.

Deux romans très différents, mais deux énormes coup de coeur pour moi.

D’un trait de fusain de Cathy Ytak, donc (Talents Hauts, 2017).

d'un trait de fusain

1992. Mary, Monelle, Julien et Sami sont lycéens dans une école d’art. En cours de dessin, leur modèle préféré s’appelle Joos. Il est jeune, libre et beau. A l’âge des premières expériences amoureuses, l’épidémie de sida s’immisce brutalement dans leurs vies. La plupart des adultes se taisent et semblent ignorer la tragédie. Mary décide de briser le silence, d’affronter le regard de ses parents, de la société, et de s’engager. 

J’en parle ici !

Pourquoi en parler aussi sur Fille d’Album ?

  • parce que c’est le portrait d’une jeune fille venue d’une famille étouffante, méprisée parce qu’elle est née fille, qui va grandir et trouver la force de s’affirmer, de militer, d’agir
  • parce que ça parle du corps des femmes, sans tabou. De celui de l’héroïne, élevée dans la haine de celui-ci et qui parviendra à se le réapproprier, du corps représenté, dessiné, etc
  • parce que ça parle de sexualité sans tabou ni stéréotypes, de masturbation, de rapports sexuels, et que non, clitoris n’est pas un gros mot.
  • parce que ça parle d’homosexualité, sans la réduire à l’homophobie et au sida
  • parce que ça parle d’homophobie
  • parce que ça parle du sida, d’Act Up, de militantisme
  • parce que ce roman est superbe et que j’ai envie de le faire lire !

 

 

Là où tombent les anges de Charlotte Bousquet (Gulfstream, 2015)

là où tombent les anges

Solange, Lili et Clémence. En 1912, ces trois couturières découvrent la vie parisienne. Solange épouse Robert Maximilien, qu’elle n’aime pas et qui est tyrannique mais qui lui apporte un certain confort. Elle s’occupe de sa vieille tante maussade. Lili, audacieuse et joyeuse, se produit comme chanteuse dans les cabarets. Clémence, jeune ouvrière, tombe éperdument amoureuse de Pierre. Mais la guerre arrive…

J’en parle ici !

Pourquoi en parler aussi sur Fille d’Album ?

  • parce que c’est le portrait d’une jeune fille venue d’une famille maltraitante, dans une société où les femmes ont très peu de libertés, qui va grandir et trouver la force de s’affirmer, de trouver une place
  • parce qu’au delà de l’héroïne, ce sont toutes les femmes qui se croisent dans ce roman: des bourgeoises, des ouvrières d’usines de munition, des veuves de guerre, des artistes, des journalistes…
  • parce qu’alors que l’Histoire met généralement en avant les hommes, ici ce sont des figures historiques féminines que l’on découvre, militantes, journalistes, artistes…
  • parce qu’on y parle de mariage abusif, de viol conjugal
  • parce que l’héroïne est bisexuelle, que plusieurs personnages secondaires sont lesbiennes
  • parce que ce roman est superbe et que j’ai envie de le faire lire !

 

J’ai mis ici l’accent sur ce qui me semblait important et intéressant du point de vue des représentations. Des aspects qu’on voit rarement dans la littérature pour ado. Mais on ne peut bien sur pas réduire ces romans à ces listes. J’espère avoir montré comment ils m’avaient emporté dans les articles en lien !