Bibliothèques jeunesse : comment lutter contre les stéréotypes de genre

Comme je vous le disais ici, j’ai été invitée à participer à une table ronde lors d’une journée sur la place des femmes dans la culture, le 8 mars. Ma table ronde s’intitulait « le service Public de la Culture, outil d’égalité et d’émancipation », et mon intervention devait présenter, en 5 minutes, à la fois le sexisme dans la littérature jeunesse et ce que les bibliothécaires pouvaient faire pour lutter contre les stéréotypes. Sacré défi, ces 5 minutes, sachant que je pourrais en parler pendant des heures ! 

Mais voilà, grosso modo, ce que j’ai raconté (ça, c’est la version qui dure 10 minutes, avant que j’élague !).

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les illustrations sont d’Elise Gravel et viennent d’ici et

 

Est-ce que la production éditoriale pour la jeunesse est genrée et sexiste ? Oui.

L’édition est genrée, c’est à dire qu’elle considère qu’il y a des couleurs et des sujets pour les filles (l’amour, l’amitié, les princesses, le rose, etc) et d’autres pour les garçons (l’action, les chevaliers, le bleu, etc). Ainsi, bibliothèques rose et verte ne séparent plus des niveaux de lecture mais les filles et les garçons. J’en avais déjà parlé ici et vous pouvez le vérifier

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Et même quand les sujets ne sont pas genrés, les représentations des filles et des garçons sont souvent stéréotypées. Exemple avec Papa et maman de Benoit Charlat : maman charlat couv.jpg

Les images viennent d’ici et je vous conseille vivement cet article sur « le problème des stéréotypes de genre dans les albums pour la jeunesse »

On y voit le père est dans des moments de détente (devant la télé, sur le fauteuil). Il joue avec son enfant, il bricole et aime le foot et les voitures. La mère prend soin de son apparence (rouge à lèvre, régime), est câline, s’occupe des tâches ménagères et quand elle bricole c’est pour réparer… la machine à laver.

 

Les stéréotypes sexistes sont donc très présents dans les livres pour enfants, comme dans la plupart de la production destinée aux enfants (jouets, dessins animés, etc).

 

Est-ce que les bibliothèques et les bibliothécaires peuvent faire quelque chose ?

Oui ! Mais pour faire quelque chose il faut avant tout avoir conscience du problème.

A ce sujet,  j’aimerais vous rapporter une anecdote : Quand j’ai commencé à travailler avec les tout-petits, j’aimais beaucoup lire ma voiture de Byron Barton.

ma voiture barton

Un auteur plutôt attentif à la lutte contre les clichés. Mais au bout de quelques mois, je me suis rendue compte qu’inconsciemment, je le proposais beaucoup plus aux petits garçons qu’aux petites filles. C’est en me rendant compte que moi, féministe convaincue, je proposais quand même les histoires de voitures aux petits garçons que j’ai commencé à me poser la question des représentations des filles et des garçons dans la littérature jeunesse et du rôle des bibliothécaires.

Cela signifie donc s’interroger, se former, s’informer, se rencontrer pour en parler, échanger et diffuser les ressources etc….

Ensuite on peut entamer une démarche active :

  • Agir sur les collections :

– proposer des titres qui luttent ouvertement contre les stéréotypes, des titres avec des personnages qui prennent le contrepied des clichés, que ce soit des livres militants :

J’avais déjà parlé de ni poupées ni super-héros !, marre du rose et un peu d’overdose de rose.

ou des livres qui présentent des filles et des garçons loin des clichés :

 

– éliminer petit à petit des ouvrages vraiment problématiques et éviter d’en racheter

– réfléchir aux représentations dans l’ensemble des livres. Y compris quand ce n’est pas le sujet de l’album.

Ainsi, si on prend deux albums sur un même sujet, l’anniversaire d’un enfant, on se rend compte que les représentations peuvent être très différentes. Dans le premier (joyeux anniversaire de Chihiro Nakagawa), la mère, en rose, est à l’intérieur, dans la cuisine, pendant que le père, en bleu, est dehors devant la voiture au début de l’album. Et à la fin, c’est le mère en tablier qui apporte le gâteau.

 

Dans le deuxième (Tommy : l’anniversaire de Rotraut Susanne Berner), la mère bricole pendant que le père met la table et accueille les invités, et apporte en cadeau la trottinette qu’elle a elle-même fabriqué pour son fils.

 

Je ne dis pas qu’il ne faut pas lire le premier, mais qu’il est important de réfléchir au niveau global à la diversité des représentations et de proposer une vraie diversité aux enfants. Car les enfants sont d’excellents lecteurs d’images et remarquent souvent des détails qui nous échappent. Et engrangent aussi ces représentations « de fond ». Ces livres dont le sujet n’a rien à voir avec la lutte contre les stéréotypes de genre, mais où on  voit au détour d’une illustration des pères qui s’occupent de leurs enfants, des femmes qui font du bricolage… sans que ça justifie qu’on s’y arrête, qu’on argumente, simplement parce que la vie, c’est aussi comme ça, élargissent le champ des possibles.

 

  • Conseiller et valoriser

La première étape est déjà de ne pas céder à la facilité en proposant des documents genrés aux enfants (les princesses aux filles et les véhicules aux garçons).

Mais comment répondre aux demandes genrées des lecteurs ?

Quand quelqu’un cherche un livre pour un enfant, le genre sera toujours précisé (« je cherche un livre pour une fille de tel âge »).  On peut déjà reformuler la demande sans sexisme (pour les enfants de tel âge, nous avons) et demander des titres de livres que l’enfant a aimé pour répondre en fonction de ses goûts et non en fonction de son genre.

On peut aussi répondre à la demande tout en ouvrant éventuellement sur d’autres horizons. Par exemple, quand on me demande des livres de princesse, je répond à la demande en proposant des contes traditionnels, mais j’ajoute toujours à la pile quelques titres avec des princesses rebelles et actives.

J’ai parlé en détails de la princesse et le dragon et de l’horrible petite princesse. Et vous pouvez retrouver une série d’articles sur les princesses , que je ne désespère pas de terminer un jour, entre autre en vous présentant les autres titres qu’on voit ici.

Notre rôle est aussi de proposer sur place et/ou en ligne des sélections : Bibliographies, tables, etc. En voici deux exemples : la bibliographie Littérature de jeunesse non sexiste, une sélection de l’association Adéquation et de la bibliothèque Goutte d’Or (2011) et la malle Egalité·e (« une sélection de 31 livres pour réfléchir autour de ce thème pas toujours si simple à aborder… ») prêtée aux collectivités par les médiathèques de plaine commune.

Et là encore, réflexion sur les représentations même quand on parle d’autres sujets, quel que soit le thème de la sélection.

Je me permets d’ajouter la petite table de présentation faite récemment à ce sujet à la bibliothèque (avec les affiches d’Elise Gravel sur les filles et les garçons, la sélection antisexiste de la mare aux mots dont je vous reparle bientôt et les chouettes dépliants de MamanRodarde).

 

Mettre en place des animations pour accompagner ces ressources

On a la chance, en bibliothèque, d’avoir une grande liberté pour proposer et inventer des choses : gouter philo, projections de films, expo, débats, lectures, ateliers, etc. Deux exemples : la participation de Louise Michel à Queer for kids, semaine de réflexion autour de la diversité des genres, avec un atelier pour enfants pour permettre « d’inventer des personnages à la diversité sans limite qui formeront la fresque d’un royaume utopique ! » (c’est par Maman Rodarde, le 24 mars, allez-y !).

Et l’exposition et les animations (heure du conte) à la bibliothèque Rouger Gouhier  de Noisy-Le Sec, « filles intrépides, garçons tendres ».

CONCLUSION : Pour que les bibliothèques jouent un rôle significatif dans la lutte contre les stéréotypes, il faut aller au delà de l’initiative individuelle et locale et réfléchir à cette question dans l’ensemble du réseau. Cela doit s’appuyer sur la formation des bibliothécaires, et sur un travail quotidien sur ses propres représentations. On commence à s’emparer vraiment de ce sujet, et c’est un beau défi pour les années à venir !

(Merci à Gabriel, Elise, Sophie et surtout @BibliBonjour pour leur relecture et leurs conseils).

Le reste de la table ronde, sur le rôle des conservatoires, les ressources humaines, la place des femmes dans l’espace public, était passionnante. Des actes doivent être publiés, je vous tient au courant dès que j’en sais plus !

16 commentaires

  1. Bonjour,

    devant la qualité de votre article et de votre blog en général, je me suis permis de le rebloguer afin de faire connaître votre contenu à mes abonné.es.
    Merci pour le temps que vous passez à faire ces articles et pour la qualité de vos réflexions. Merci aussi de rendre accessible des ressources non sexistes dans la littérature jeunesse, je connais des tas de personnes qui seraient ravies de connaître l’existence de votre blog. Je vais m’empresser de vous faire connaître.

    Bonne journée !

    Anna-Lise

    1. Merci beaucoup pour ce gentil message et pour contribuer à diffuser mon article !

  2. Article très intéréssant, merci ! Je fais toujours attention à choisir des livres pour mes nièces montrant autre choses que des princesses aimant le rose mais je n’ai jamais pensé à regarde rle livre dans son ensemble pour voir s’il ne perpetuait pas certains stéréotypes sans que ce soit le sujet/inconsciemment. Je rajouterai aussi que très souvent, si on essaye de proposer des livres parlant de voitures, mécaniques, etc à des petites filles, il n’en reste pas moins que le personnage principale est quasiment toujours un garçon. Je me demandais si les filles pouvaient quand même s’y identifier au dela du genre, où si à force elles finnisaient par se demander pourquoi ont lui lit un livre qui parle de trucs de garçons. C’est juste une interrogation sur ce sujet qui en effet mérite plus que 5min !

  3. Bonjour
    Un grand merci pour votre blog, très intéressant inspirant. Je ne manquerai pas de le faire passer à mes amies (hélas oui ce sont essentiellement les mères qui se préoccupent de cette question) et aussi à la famille pour tous les choix des livres pour Noel et anniversaire….

  4. Coucou!, je viens souvent mais ne laisse jamais de commentaire, j’ai décidé de changer mes habitudes!
    Bravo pour le travail! Vos articles sont excellents et très instructifs, je m’en inspire pour faire ma propre bibliothèque non genrée! A très vite!

    1. Merci beaucoup pour le commentaire très encourageant !
      Je prépare pour noël des articles sur des modèles de femmes positives dans la littéature jeunesse, j’espère que ça va vous plaire !

  5. Bonjour,
    Je suis ravie de vous découvrir. Bravo pour votre travail. Je vous reblogue à mon tour !!
    Votre article est généreux et vos conseils m’apparaissent tout à la fois engagés et réalistes. J’anime des ateliers de décryptage des inégalités filles-garçons dans les albums illustrés en Bretagne, à destination des professionnel.les (bibli, crèches, enseignant.es) et des enfants ! Je serais ravie que nous puissions échanger et peut-être même nous rencontrer ? En attendant, voici un article (https://www.binocle.org/blog/) dans lequel je donne également quelques conseils et un guide pour décrypter des albums illustrés avant de les lire aux enfants.
    Au plaisir,

    Rozenn MORO
    http://www.binocle.org
    les inégalités filles-garçons à la loupe !

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