La beauté des princesses dont je parlais récemment est généralement associée à de nombreuses qualités morales. « Si les princesses sont belles, elles sont en général bonnes, intelligentes, généreuses, c’est-à-dire globalement aimables, car le sujet dominant les intrigues est l’amour. » Anne Defrance (source).
Ainsi, dans le mouton de Mme D’Aulnoy, la princesse s’appelle Merveilleuse. Dans la belle au bois dormant (Minedition, 2014) : « les années passèrent et la princesse grandit en sagesse, en beauté et en vertu, si bien que tous ceux qui l’approchaient ne pouvaient s’empêcher de l’aimer ». Peau d’âne est dotée de « tant de vertus ». Chez Perrault, la Belle au bois dormant est parée de « toutes les perfections imaginables ». Cendrillon est « d’une douceur et d’une bonté sans exemple ».
Ainsi, dans l’abécédaire des princesses (Line Paquet et Géraldine Collet, Play Bac, 2015), la liste des qualités est longue !
Ces dons leur permettent de se distinguer du commun des mortelles et de justifier en quelque sorte leur condition (il est normal qu’elles aient un statut supérieur, soit de naissance, soit par le mariage, parce qu’elles sont exceptionnelles). On peut souligner qu’elles n’ont aucun effort à accomplir : elles acquièrent leurs qualités soit « naturellement » en grandissant, soit par magie, comme dans La Belle au Bois dormant des frères Grimm :
La fête fut donnée avec faste et lorsqu’elle se termina les femmes sages vinrent pour offrir leurs merveilleuses offrandes : une lui offrit la Vertu, une autre la Beauté, la troisième la Richesse et encore tout ce qui peut se souhaiter dans ce monde.
Cependant, en dehors de la description de la princesse, la plupart de ces qualités sont peu évoquées dans les contes, car les princesses ont peu l’occasion de les utiliser. En effet, alors qu’elles s’apprêtent à devenir reines, on ne les voit quasiment jamais prendre des décisions, avoir un quelconque pouvoir politique ou « social ». Comme le souligne Anne Defrance, le but est d’être aimable, pas d’agir. On a donc tendance à oublier les qualités « intellectuelles » pour mettre en avant les qualités liées à l’apparence : beauté, délicatesse, élégance…
Un bon exemple de cela est la princesse au petit pois : on met en doute son identité de princesse car elle est trempée et donc non présentable. Mais c’est sa délicatesse, et non aucune de ses autres qualités, qui la fera reconnaître comme une princesse :
Quelle femme, sinon une princesse, pouvait avoir la peau aussi délicate ?
La délicatesse et l’élégance de la princesse en ont fait peu à peu un modèle de bonnes manières. Ainsi, dans l’imagerie des princesses de Emilie Beaumont et Sophie Toussaint (Fleurus, 2003), plusieurs pages sont consacrées aux bonnes manières et à ce qu’une princesse doit faire ou non :
« une princesse ne prend pas ses couverts à pleines mains, mais avec élégance, en essayant de ne pas éclabousser la nappe avec la sauce en coupant sa viande. Une princesse porte ses aliments à la bouche en restant bien droite. Finalement, une princesse se tient à table de la même manière que tous les gens bien élevés ».
Une princesse sage et vertueuse est ainsi avant tout une princesse élégante et bien élevée. Tout destin de pouvoir, de royaume à diriger, de possibilité d’action est écartée. Les qualités de la princesse sont là uniquement pour attirer l’attention du prince charmant et être bonne à aimer et à épouser.
Edit du 11 novembre : J’ai reçu un message de l’auteure de l’abécédaire des princesses dont je parle plus haut. Elle y dit : « Je regrette un tout petit peu que vous n’ayez pas retenu dans les qualités que nos princesses doivent avoir le goût du voyage pour découvrir le monde. Nous tentons dans cette série avec les éditions Play Bac et Line Paquet, l’illustratrice, de proposer des princesses actives. Nos trois copines restent roses, élégantes mais pas que. Je ne peux que vous conseiller de parcourir la série parce qu’on est bien d’accord, les princesses neu neu, bin, nous non plus n’en voulons pas trop…d’où l’idée de créer des princesses qui prennent des initiatives seules et mènent l’action plutôt que de la subir. » Et elle a raison, je ne rends pas justice à ce livre, qui sert ici de simple illustration. Car s’il est un peu trop rose et « girly », et que la part consacrée à l’apparence, aux vêtements des princesses est trop importante à mon goût, il a le mérite de présenter des princesses qui apprennent, se cultivent et sont actives. L’article « princesse » se conclut ainsi : « pour être une vraie princesse, il faut aussi avoir très envie de vivre d’incroyables aventures… Car le temps où les princesses restaient sagement au château en attendant leur prince charmant est heureusement terminé ! ».
Très intéressant, de bonnes filles et de bonnes épouses. Ça me rappelle un peu les règles de politesse et de bienséance qu’on apprenait aux femmes (et qu’on doit encore leur apprendre) à la Nadine de Rothschild.