Refuser la censure

Etant donné le sujet de ce blog, je ne pouvais pas ne pas aborder ce qui se passe en ce moment autour de la littérature jeunesse. Je dois avouer que j’ai certaines références sur la littérature antisexiste depuis longtemps dans mon ordi, que ça faisait longtemps que j’avais envie d’aborder ce sujet (je l’ai fait parfois, au passage, à propos d’un album). Et que toute cette agitation autour de la littérature jeunesse m’a décidé à ouvrir ce blog. Pas tant parce que je pense qu’il est nécessaire que je « réponde » à ces attaques (d’autres l’ont très bien fait), mais parce que cette effervescence sur les blogs de littérature jeunesse et chez les professionnels du livre a montré qu’il y avait plein de gens qui voulait proposer des livres beaux, avec du sens et capable de bousculer et de faire réfléchir enfants comme parents. Et c’est ces initiatives là, ces livres là que j’ai envie de réunir sur ce blog.

Revenons aux attaques contre la littérature jeunesse de ces derniers jours. Pour commencer, un lien vers un article qui résume plutôt bien la situation, je trouve. A un détail près, mais qui est significatif : le blog d’extrême droite « le salon belge » a lancé une offensive contre les livres « à la gloire du gender » quelques jours AVANT que Jean-François Copé s’attaque à « tous à poil ». J’ai du mal à croire à la coïncidence. Pour moi, c’est un signe que l’UMP est prête à faire beaucoup pour draguer ce public d’extrême droite.

Le salon beige (je n’ai volontairement pas mis de lien et je pense vraiment que vous pouvez éviter d’aller sur ce site) est un site proche du « printemps français », un groupuscule constitué par les membres les plus radicaux de la manif pour tous autour de Béatrice Bourges. Dès le 4 février, ils dénoncent la présence d’articles « à la gloire du gender » dans les bibliothèques, en encourageant leurs lecteurs à contacter les bibliothèques ou les mairies pour exiger que ces livres soient retirés des rayons. Parmi les livres cités :

Mademoiselle Zazie et la robe de Max de Thierry Lenain (Nathan, 2011)

Mademoiselle Zazie a-t-elle un zizi? de Thierry Lenain (Nathan, 1998, réédité en 2011). La réaction de l’auteur et celle de l’éditeur.

Mes deux papas de Juliette Parachini-Deny et Marjorie Bréal (Des ronds dans l’O, 2013)

Jean à deux mamans d’Ophélie Texier (l’école des loisirs, 2004)

Papa porte une robe de Piotr Barsony, musique de Bumcello (Seuil, 2004, épuisé). La réaction de l’auteur.

La princesse qui n’aimait pas les princes d’Alice Brière-Haquet et Lionel Larchevêque (Actes Sud Junior, 2010). La réaction de l’auteur.

Frederic et Frédérique de Virginie Dumont et Michel Boucher (Actes Sud Junior, 1996)

Le jour du slip /je porte la culotte d’Anne Percin et Thomas Gornet (Rouergue, 2013). Ce livre a fait également l’objet d’attaques immondes sur le site la soupe de l’espace qui répond aux commentaires avec cet article. Le libraire a été menacé. Thomas Gornet a répondu sur son blog. Anne Percin y a répondu également et a décidé de fermer son blog suite aux réactions haineuses. Maman Baobab y consacre un article.

La fille qui voulait être un garçon de Stephanie Blake (l’école des loisirs, 2001, épuisé)

La nouvelle robe de Bill d’Anne Fine (l’école des loisirs, 1997)

Papa c’est quoi un homme haut sekçuel? d’Anna Boulanger (Zoom édition, 2007)

Un mariage vraiment gai de Muriel Douru (Ed. gaies et lesbiennes, 2004)

Tango a deux papas, et pourquoi pas ? de Béatrice Boutignon (Le baron perché, 2010, épuisé mais va être réédité en mars 2014). La réaction de l’auteur.

Quelques jours plus tard (le dimanche 9 février), Jean-François Copé s’attaque à la télévision au livre Tous à poil de Claire Franek et Marc Daniau (Rouergue, 2011).

tous à poil

Il affirme (entre autre) que montrer un policier ou une maîtresse « à poil » dans un album jeunesse sape l’autorité des policiers et des maîtresses. Il en vient même à affirmer, quelques jours plus tard, que cet album « c’est la défense de la lutte des classes. Car vous comprenez bien que le choix des profils qui ont été déshabillés dans Tous à poil c’est aussi pour montrer qu’on ne veut plus de la marque d’autorité » (source : ici).

L’illustrateur a répondu en disant : « Les enfants sont environnés d’images de corps plus ou moins dévêtus, dans la publicité, sur les abribus, sur les couvertures de journaux peopleNous avons voulu leur proposer un regard plus juste sur le corps. Et surtout, nous le faisons avec humour. »  Il en parle plus longuement ici. L’éditrice répond également à ces attaques et à celle portant sur « le jour du slip / je porte la culotte ».

Sur le blog de l’atelier des merveilles, on trouve une réponse à Jean François Copé, qui dit à propos du livre : « Cet album joueur montre la nudité, naturelle, intergénérationnelle, bienheureusement désérotisée, universelle, comme un acte de liberté, d’égalité et de fraternité : la joie de prendre un bain de mer sous le soleil ».

Une page facebook « Tous à poil » a été créée. La mare aux mots a lancé un pinterest « Tous à poils » ou des illustrateurs ont posté des dessins. Dans l’émission « la tête au carré » du 14 février, la psychanalyste Claude Halmos insiste sur le fait qu’il faut parler aux enfants de la différence des corps, des sexes, de la sexualité… et que les livres pour enfants sont un bon outil pour montrer comment sont fait les corps. « C’est normal que les enfants aient envie de voir ce qu’il y a sous les robes des dames ou dans les pantalons des messieurs, mais ils ont d’autant plus envie de le savoir qu’on ne leur a pas expliqué la sexualité ». Elle ajoute :  « parce qu’il (Jean-François Copé) s’imagine qu’on respecte la maîtresse parce qu’on s’imagine qu’à l’intérieur de sa robe, il y a un tronc d’arbre ? Enfin, c’est absurde »

Dans les faits, la polémique a fait exploser les ventes de Tous à poil, meilleure vente sur Amazon. Et apparemment, les demandes réelles de retirer les livres des rayons des bibliothèques ont été très limitées. Le nouvel obs parle même de « flop de l’offensive du printemps français« . Néanmoins l’article que je citais au début montre qu’au moins deux maires ont réagi. Si le maire DVD du Chesnay (Yvelines) Philippe Brillault n’a pas fait retirer le livre de la bibliothèque, il a fait placer une dizaine de titres auparavant stockés dans un bac accessible aux plus petits en hauteur sur une étagère du « fonds des parents ». Et « le maire UDI Jean-Christophe Fromantin assure, lui aussi, n’avoir reçu « aucune pression », bien qu’il ait reçu deux e-mails et un courrier incriminant cinq livres, dont certains sont en rayon depuis 1994. Les livres sont sur le bureau du maire, qui veut les consulter avant de prendre une décision. S’il juge qu’ils font la promotion de la théorie du genre, il « les retirer[a] après en avoir parlé aux élus. »

En tant que bibliothécaire, je trouve l’intervention directe de maires sur le contenu des bibliothèques très grave. Visiblement, Christophe Fromantin en parlera aux élus… mais ne se dit pas qu’il pourrait en parler avec les bibliothécaires dont c’est le métier ! Et ça, c’est effrayant.

Pas très rassurante non plus la réaction du gouvernement qui fait machine arrière à propos de « tous à poil » et de la pourtant superbe bibliographie de l’atelier des merveilles que je cite dans les ressources bibliographiques. Cet article explique comment cette bibliographie a été constituée et pourquoi elle fait partie des références de l’éducation nationale. (Aurélie Filippetti a cependant réagi vigoureusement).

Sans parler des insultes, menaces, commentaire haineux auxquels ont du faire face de nombreux libraires, auteurs, illustrateurs…

Mais je préfère conclure cet article sur du positif. Sur les réactions de l’ensemble des professionnels du livre, des auteurs illustrateurs (voir le communiqué de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse) aux bibliothécaires (voir le communiqué de l’Association des Bibliothécaires de France), en passant par les éditeurs (voir le communiqué du Syndicat National de l’Edition). En plus des réactions citées plus haut, je voudrais ajouter celles d’un auteur (Claude Ponti). Mais aussi celle d’une éditrice (Emmanuelle Beulque, éditions Sarbacane), d’un autre éditeur (Alain Serre, Rue du Monde). Celle de libraires indépendants (les librairies sorcières). Celle de la directrice du salon du livre jeunesse de Montreuil. Je voudrais aussi citer des réactions de blogueurs en littérature jeunesse, parce qu’à mes yeux ils jouent un rôle important dans la défense de la littérature jeunesse et de sa richesse : la mare aux motsChlop, Laurette.

 

Edit du 15/02/2014 : ajout de liens.

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5 commentaires

  1. Un très bel article, encore de nouvelles ressources pour éclairer les lecteurs, super, je prends le temps de lire le tout au plus vite. Merci.
    J’adore l’idée de la marre aux mots, pleins de belles illustrations qui vont directement rejoindre mon mur, … Que de créativité en réponse à l’ignorance, …
    Quand tu veux pour le petits bonheurs, on est pas pressés, il y a des priorités ces temps ci qui nécessitent une réaction urgente…à priori j’ai entendu hier que » tous à poils » était en rupture de stock …. Coppé pris à son propre piège !!!! Et TOC!

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